L'histoire :
Khalil est né et grandit en France, d’une famille d’origine algérienne. Son père est définitivement retourné en Algérie pour refaire sa vie, après avoir répudié sa mère. Khalil habite donc avec son grand frère Magyd, sa grande sœur Amel et sa mère Youma, dans une barre HLM d’une cité « sensible ». Avec ses super potes Will (un blanc) et Raphaël (un noir), il suit l’école, sans grand espoir et sans conviction. Ensemble, ils zonent, ils « calculent » des meufs, ils écoutent du rap… Jusqu’au jour où le meurtre d’un jeune du quartier par des policiers déclenche une émeute. Les CRS débarquent et son pote Will se retrouve en panique dans une charge de CRS. Il sort son couteau, tue un flic et écope de 20 ans de taule. Khalil est ravagé par cet évènement et débute alors en lui un long processus de prise de conscience, qui va durer des années. 10 ans plus tard, durant une nouvelle émeute dans le quartier, sa mère fait un malaise à domicile. Le climat insurrectionnel empêche l’ambulance de passer et sa mère meurt, faute de soins. Lors du voyage d’enterrement vers l’Algérie, Khalil cherchera à comprendre ses origines pour essayer de comprendre sa place dans ce monde et ce malaise social qui le poursuit depuis sa naissance…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec le roman graphique Un monde libre, Halim Mahmoudi se livre à un ambitieux roman graphique qui tient à la fois du parcours initiatique, du constat social alarmant, de l’utopie politique et de l’appel à l’insurrection civile. Le jeune héros Khalil est sans doute l’alter ego de l’auteur et il découpe sa pensée en trois phases de prise de conscience : se comprendre, comprendre le monde et se faire comprendre du monde. Au travers d’un dessin semi-réaliste en noir et blanc jeté, spontané et parfois brut, on le découvre tout d’abord enfant. Il affronte la condition d’un jeune « immigré » de banlieue, voué à une intégration impossible, sans avenir. Tenez-vous bien, c’est là le chapitre le plus « léger », en raison des dialogues de djeunz, de la bonne humeur et de l’insouciance. Des tragédies s’ensuivent, qui aboutissent à une sérieuse et longue démarche d’auto-définition politique et civile, une quête de soi au sein d’une société définitivement trop renfermée et injuste : la nôtre. Les encadrés introspectifs deviennent dès lors le principal procédé narratif. Le verbe est soigné, pour de puissantes démonstrations ou de belles maximes, comme « La douleur est inévitable, mais souffrir est optionnel » ; « L’enseignement qui vous révèle à vous-même sans vous arracher à votre liberté est le plus précieux du monde ». La narration se montre certes souvent désordonnée, car reflet de conjectures intimes, de souvenirs, autant que de spéculations compilés. Elle permet néanmoins globalement de construire et de relayer une pensée sociale et politique paradoxalement mature (dans sa démarche) et naïve (quant à la solution). Car vers la fin, ce « témoignage » se transformer en chronique d’anticipation fantasmée, vers une révolution radicale et la quête d’une liberté soudaine et ultime – un brin mégalo, bien que partant d’une bonne intention. Khalil/Halim brandit en effet le décret du bonheur immédiat comme arme absolue : c’est sans doute pas si con, mais ça procède d’un retournement des mentalités individuelles et collectives qui revient à décrocher la lune. Comme Mathieu Kassovitz en son temps avec son film la Haine, Mahmoudi fait un constat amer, mais il en tire une philosophie politique – au sens noble – intéressante.