L'histoire :
Larry et Alice vivent dans une banlieue ordinaire et tranquille des Etats-Unis. Il ne s’y passe pas grand-chose. Larry, un ado timide, toujours dans la lune et insouciant, rêve d’être cosmonaute. Gentillet, geek, naïf et rêveur, il refuse de grandir et fuit ses responsabilités. Son angoisse : entrer dans l’âge adulte. Seule manière d’échapper à l’ennui, seul réconfort dans cette vie sans perspective, rêver de la lune, des étoiles et un jour, peut-être, voyager dans l’espace. Larry vit avec un compagnon fidèle et toujours de bon conseil : un ours en peluche qui fume. L’amie d’enfance de Larry, Alice, joue de l’orgue dans une église où les fidèles se font rares. Elle aussi s’ennuie dans cette ville sans âme. Ce qui la maintient en vie, c’est son amour pour Larry. Elle lui fait pourtant comprendre combien elle l’aime depuis le temps qu’ils se fréquentent, mais lui semble complètement sourd à ses épanchements, à la laverie automatique ou au beau milieu d’un cinéma de plein air. Oui, Larry est soit dans le passé, soit dans le futur, toujours absent au présent… et au réel. Comment s’aimer quand deux êtres solitaires et sans expérience se rencontrent ? Voici le récit d’une romance compliquée entre un ado immature incapable d’échapper à l’enfance car prisonnier d'un idéal, et une jeune femme incapable d’être ailleurs que dans la réalité.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L’ombre du Jimmy Corrigan de Chris Ware plane évidemment sur ce très beau livre d’Aurélien Maury, peut-être trop d’ailleurs, mais aussi celle de Dan Clowes pour les thèmes de la mélancolie et de l’entrée dans l’âge adulte (période Ghost World ou Ice Haven). On pense aussi à Bill Watterson avec l’apparition du confident de Larry, un petit ours en peluche qui parle, sorte d’inconscient de Larry, mais aussi figure paternelle à peine fantasmée, à la fois symbole et ultime repère de l’enfance. Aurélien Maury, pour qui c’est le premier effort solo, fait preuve ici d’un réel talent dans sa capacité à installer et créer une ambiance, tour à tour nostalgique ou poétique, suggestive ou silencieuse. Conte faussement naïf sur la difficulté à devenir ce que l’on est, récit sur le douloureux passage à l’âge adulte, réflexion aussi sur l’identité et l’absence (du père ou des sentiments), Le Dernier Cosmonaute parle de la jeunesse, période au cours de laquelle l'enfant rêve de devenir quelqu'un, si ce n'est un héros. C’est aussi l’histoire d’un travail de deuil, celui des rêves et des êtres chers : le père, l’ours ou l’enfant encore innocent. On peut aussi y voir une fable sur le besoin désespéré d’être aimé et la douloureuse perte des illusions. La BD, dans un délicieux format à l’italienne accompagné de jolis flyers, ménage ainsi de magnifiques scènes contemplatives ou crépusculaires, de rues ou de galaxie (voir la fabuleuse séquence de fécondation galactique !), tandis que le récit fait affleurer une belle patte graphique aux couleurs vintage, une ligne claire épurée certes très référencée ici mais parfaitement maîtrisée, et une narration lente à la douce musicalité. Invitation au voyage terrestre et spatial pleine de douceur, parfois d’une belle tristesse, cette quête initiatique attendrissante stimule en plus la réflexion sans jamais prendre la tête. Il reste maintenant à Maury à dépasser cette œuvre de jeunesse pour livrer un univers encore plus personnel. Une œuvre « warienne » d'une grande sincérité en tout cas, belle et pleine de charme, qui vaut à son auteur d’être en course au prochain festival d’Angoulême. Une petite reconnaissance amplement méritée.