L'histoire :
Une jeune femme vit avec sa famille sur une île presque vierge. Sorte d'Eden préservé, refuge idyllique d'un passé disparu, il fournit le cadre d'une existence paisible en phase avec les éléments naturels. Mais le précieux équilibre se trouve bouleversé le jour où la modernité fait irruption sur l'île. Des centaines d'hélicoptères débarquent du son lourd de leur moteur pour venir perturber la douce harmonie de ce territoire jusqu'alors préservé. A leur bord, des militaires venus faire la guerre. Effrayée, apeurée par ce qu'elle n'a jamais vu ou ne comprend, la jeune femme n'a plus qu'une idée en tête : fuir les siens et se réfugier, quitter cette terre à laquelle elle est tant attachée. Au terme d'une longue marche, elle se retrouve face à la mer, obligée de fuir vers l'inconnu. Elle embarque en compagnie de son chien dans un petit bateau pour rejoindre le continent. Mais une question entêtante se posera à elle : comment survivre dans un monde aux forces hostiles ? Sera-t-il possible d'accéder de nouveau un jour au paradis ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Blood Song est une BD dans laquelle on rentre difficilement. Il faut en effet parcourir les images pensées comme des tableaux qui se suffisent à eux-mêmes, et construire une histoire dépourvue de dialogues. Mais une fois la chanson terminée, on ne peut que s'incliner devant la maîtrise graphique et narrative de Drooker. Ici, il conte magnifiquement l'histoire d'une femme contrainte de fuir son île édénique et végétale, en proie à la guerre, pour rejoindre le continent et ses métropoles minérales, étouffantes et monstrueuses. Juste la force des dessins pour exprimer toutes les émotions possibles ou la musique des mots libre de ses mouvements. Le récit tire sa force de son universalité et de sa puissance évocatrice : les lieux ou personnages ne sont jamais nommés (a priori, on est quand même en Asie) et la narration muette fait que notre attachement aux personnages est proportionnel à leur humanité silencieuse. Iles et villes, nature et culture, végétal et minéral, chaos et civilisation, douceur de la narration et noirceur des événements cohabitent pour enfanter une alchimie des contraires bouleversante, servie par une économie de moyens graphiques salutaire et un langage immédiatement accessible. La mise en page en diptyque, l'effet de la carte à gratter et les tons sombres légèrement bleutés distillent quant à eux un souffle à la fois poétique et moderne. Drooker parvient très subtilement à communiquer la sensation de déracinement, la détresse d'une réfugiée et la plongée au cœur d’une civilisation fondée sur des mœurs et des techniques radicalement nouvelles. Pensé sous la forme d'une fable politique "musicale" qui tente de sonder les ressorts de la noirceur du monde, Blood Song révèle le combat entre des forces contraires, histoire de comprendre comment nous en sommes arrivés là. Car le monde n'est qu'une suite de destructions créatrices semble nous dire Drooker, il faut mourir symboliquement pour avoir ensuite le droit de renaître physiquement. Avec un final de toute beauté. Un propos juste, universel et puissant, propre à faire de Blood Song une BD intemporelle. Le jour où les mots auront disparu, Blood Song leur survivra. Saisissant.