Parvenant à s’affranchir de l’obstacle de la langue grace à Yann Kerhuel (c’est pas évident à trouver, un traducteur franco-chinois), les mangarins (sur la planetebd, un mangarin, c’est un bédien qui ne lit que des mangas) ont profité de la Japan Expo pour questionner Benjamin, de son vrai nom Zhang Bin, un auteur chinois talentueux et prometteur. En un album, le plus ou moins autobiographique Remember, ce virtuose du graphisme informatique participe en beauté à l’entrée des mangas chinois en Europe…
interview Manga
Benjamin (Zhang Bin)
Bonjour Benjamin ! Comment vas-tu ?
Benjamin : Je suis très content d'être venu à Paris, c'est une ville géniale, je m'éclate bien et j'ai visité pas mal de trucs.
Pourrais-tu te présenter rapidement ?
Benjamin : J'ai deux BD et un roman à mon actif, qui marchent très bien en Chine.
Quelle est l'origine de ton nom d'artiste ?
Benjamin : Il y a à peu près 10 ans, j'ai fait des petits boulots pour une entreprise française en Chine, et pour mes collègues mon nom Bin est devenu Benjamin... (rires) Il fallait chercher loin ! C'est mon boss qui m'a donné ce surnom et après ils l'ont tous utilisé dans l'entreprise.
Remember est accueillie avec enthousiasme en France, est-ce que cela te surprend ?
Benjamin : Oui, je suis très surpris, je ne m'attendais pas à un tel succès en France.
Et comment se passe la rencontre avec ton public durant cette tournée ?
Benjamin : Je suis très content de voir qu'il y a des gens ici qui apprécient ce que je fais, cela me rend vraiment heureux. Et je n'aurais pas pensé que cela marcherait si fort, car mes livres parlent de la société chinoise et je ne m'attendais pas à ce que cela intéresse autant le public français.
Ton style est assez atypique pour du manga (grosse influence en Chine), mais il rappelle certaines écoles occidentales, influence ou coïncidence ?
Benjamin : En fait c'est presqu'une coïncidence, j'ai reçu des influences des gens avec qui je travaillais, qui ont été influencés par des auteurs de Hong Kong, qui ont pour certains des influences d'auteurs européens. Donc ça vient de loin, c'est plus un style particulier qu'une influence directe de l'occident.
Suite à tes rencontres avec ton public, est-ce que tu as l'impression que tes BD touchent un autre public que celui des mangas plus traditionnels (en Chine comme en France) ?
Benjamin : Tout dépend du manga dont on parle ! Parce que le public des shojo n'est clairement pas le même que celui des shonen... Mais bon, je ne saurais pas trop caractériser mon public. Les personnes que j'ai rencontré tournaient pour la plupart autour de 20 ans, avec, c'est vrai, un public féminin assez développé (rires).
Dans Remember, tu critiques les artistes et éditeurs chinois qui se conforment aux désirs du marché au détriment de la créativité. Quel a été son accueil dans la communauté professionnelle ?
L'amie de Benjamin (NDLR : également auteur): Effectivement Benjamin a reçu quelques critiques du fait qu'il dégradait un peu l'image du monde de la BD et de l'édition en Chine. Mais au fur et à mesure les gens se sont rendus compte que ce qu'il disait reflétait très bien la réalité et au final cela leur a permis de se remettre en question. Il y avait sujet à critique, donc il n'a pas été vraiment blâmé pour ça.
Quels sont tes projets à venir ? Est-ce que tu penses t'attaquer à d'autres horizons artistiques ?
Benjamin : Je compte bien continuer la BD et les romans, par contre à l'avenir j'espère pouvoir faire des BD plus longues puisque pour l'instant ce sont des histoires assez courtes. Et sinon au niveau des techniques de dessin etc. J'ai envie d'expérimenter des nouvelles choses aussi. Depuis que je suis venu en France j'ai visité quelques galeries, le musé d'Orsay, le Louvre, etc. et j'ai vu des auteurs de BD qui travaillent beaucoup à l'aquarelle, et ça, ça m'a pas mal bluffé. Donc j'ai envie d'essayer quelques trucs. Mais dans un premier temps ce ne sera pas intégré à mes œuvres. Je dois d'abord expérimenter tout ça, et plus tard, qui sait...
D'après toi, quel est l'avenir de la BD en Chine ? Et de la BD chinoise en dehors de la Chine ?
Benjamin : Dans un premier temps, dans le marché asiatique, à mon avis si les auteurs chinois [comme moi, Jidi ou Joya] continuent de travailler dur, les BD chinoises auront une part de marché de plus en plus importante, d'autant plus que les marchés japonais et coréens commencent un peu à s'essouffler, surtout en Asie. Sinon, je trouve qu'à l'extérieur de la Chine vous avez une certaine ouverture d'esprit que je trouve très positive. Comme je pense que le manga chinois a quelque chose à apporter, une certaine originalité, l'ouverture d'esprit occidentale aidant, cela peut faire son succès à l'étranger. On n'en est qu'au début, mais ça peut marcher !
A part la France, tes BD ont-elles été publiées à l'étranger ?
Benjamin : Pour l'instant non. Elles ont été publiées uniquement en France. Par contre il y a des projets pour les publier dans d'autres pays, c'est en cours...
Tu travailles beaucoup avec les ordinateurs, est-ce que cet outil est aujourd'hui une composante indispensable de ton style ou est-ce que c'est juste un moyen d'expression artistique parmi d'autres ?
Benjamin : Je ne pense pas que l'ordinateur soit une composante essentielle de mon travail. C'est vrai que j'ai pris l'habitude de travailler avec l'ordinateur pour des raisons pratiques, mais je ne pense pas que cela soit lié à mon style. Je pense que si je travaillais sans ordinateur j'aurais le même style. D'ailleurs comme je l'ai dit tout à l'heure je compte bien faire des essais en aquarelle.
Pourquoi la BD et non pas la peinture ou autre chose ?
Benjamin : En fait je ne me reconnais pas dans la communauté d'artistes en Chine, par exemple ceux qui font vraiment de la peinture. Je ne me retrouve pas dans leurs idées, ni dans leurs objectifs et ambitions. Donc ce n'est clairement pas ce que je veux faire. Même si j'ai fait une année de dessin impressionniste et etc., finalement ce n'est pas ça que je veux faire, ce n'est pas le message que je veux faire passer.
Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?
Benjamin : Ah, les livres de Jidi (rires) (NDLR : c'est une de ses amies, présente au moment de l’interview) Ce n'est pas encore édité en France mais ça ne saurais tarder.
Yann (NDLR : le traducteur) : C'est un travail graphique fait à l'ordinateur, avec des histoires très tristes... Je trouve ça très bien aussi. J'ai pu le montrer à plusieurs personnes en France qui sont du même avis.
Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui aurais-tu élu domicile ?
Benjamin : François Boucq. J'ai été très impressionné par l'imagination de Boucq. Et je suis fasciné par la manière dont il trouve des idées aussi tordues... Oui, j'aimerais bien explorer son cerveau (rires).
Merci Benjamin !