Philippe Riche s’est fait connaître avec un premier diptyque en noir et blanc, dans la petite collection Tohu-Bohu, Pas de chance. Une sorte de thriller à la française, à la fois dynamique, iconoclaste et… franchement emballant ! Deux tomes plus loin, il remet en place le même trio d’antiquaires, pour rempiler avec un ton toujours aussi déjanté sur L'association des cas particuliers, un soupçon de fantastique en sus et… c’est toujours aussi jubilatoire ! Pour comprendre comment on peut se retrouver à poil devant le capot d’une DS pourrie sur laquelle est étendu un macchabé, les bédiens ont cyber-interviewé cet auteur prometteur…
interview Bande dessinée
Philippe Riche
Réalisée en lien avec l'album L'association des cas particuliers T2
Pour faire connaissance, peux-tu te présenter (brièvement) ? Ta vie, ton œuvre ?
Philippe Riche : Ma vie ?... Je suis né en 1971 à Lyon, sur un ponton où mes parent ravitaillaient les mariniers en fuel. Mon père construisait un voilier sur le quai avec lequel nous avons descendu le Rhône pour naviguer en Méditerranée avant de partir pour les Antilles vers 1976. En Martinique, je recopie un Lucky Luke qui fait l'admiration de mes parents. Après deux ans sous les tropiques et la naissance de ma petite soeur c'est le retour en France. Nous vivons à Cannes puis sur un canal prés d'Arles. Je fais mes premières bande-dessinées, très inspirées par Tintin et surtout par les Pieds-Nickelés de René Pellos. Au début des années 80, mes parents décident de se sédentariser et achètent une maison dans le Languedoc. Je découvre l'école et surtout... les écoliers. J'ai beaucoup de mal à m'intégrer les premières années, ce qui renforce mon goût pour cette activité solitaire qu'est le dessin... Ensuite, je suis une scolarité sans encombre, tout en continuant à raconter de petites histoires en bande-Dessinées. J'obtient le Bac en 89 et suis reçu au Beaux-arts de Montpellier, j'y reste un an avant d'intégrer l'atelier de Bande-Dessinée des Beaux-Arts d'Angoulême. J'ai la chance de tomber dans une promo stimulante où chacun explore des pistes différentes et où la plupart des travaux sont réellement de qualité (je suis avec Aristophane, David Prudhomme, Tanitoc, les frères Bramanti, Troub's, Christophe Bec). Je dessine un premier album, Le chemin de la Plage (inédit) et publie une petite histoire un ange de trop dans le collectif Au fil du Nil chez Delcourt. Je fait mon service comme objecteur de conscience à la fac de lettre de Tours, puis, fauché, je travaille dans le bâtiment, et pendant huit mois sur le chantier de l'A37... En 97, je commence dans le dessin-animé, et j'enchaîne les productions en occupant différents postes (designer, storyboarder, directeur artistique). Enfin en 2003, je publie aux Humanos ma première BD : Pas de chance...
Comment en es-tu arrivé à faire de la bande dessinée ?
P. Riche : Je suis arrivé à la BD tout naturellement puisque c'est ce que j'ai toujours voulu faire...
On tente d’entrée l’autocritique : quels sont tes défauts, tes qualités, en tant qu’auteur complet ?
P. Riche : Si je dois absolument me trouver un défaut (ce qui me coûte beaucoup), je dirais que j'ai une certaine tendance à aller vers la facilité, des petits "trucs" dans la mise en scène ou les dialogues, des astuces, qui m'agacent... Je me méfie beaucoup du "professionnalisme" et de mon naturel qui va vers la mise en système. En revanche, parmi la jungle de mes qualités, celle que je mettrais en avant (outre le pouvoir d'être invisible et toujours bien coiffé) c'est le souci d'avoir une narration fluide qui peut être lue par un public pas forcément familiarisé avec le langage de la Bande-Dessinée.
Comment s’y prend-on pour imaginer dès le premier album, Pas de chance, un scénario aussi peu orthodoxe ? Relies-tu des situations entre elles ou est-ce l’histoire qui impose ces situations ?
P. Riche : Pour Pas de chance, comme pour les autres scénarios que j'ai écrit, je n'ai jamais l'impression d'avoir imaginé l'intégralité de l'histoire. J'imagine plutôt une série de situations éparses (sans forcément de lien entre elles), un cadre général, des personnages, une "dynamique" générale. Le lien entre tous ces éléments, c'est l'envie que j'ai de jouer avec et c'est cette envie que je cherche à restituer dans l'histoire. Je ne me soucie pas d'appartenir à un genre ou de composer selon des règles établies. Je ne cherche pas non plus à m'y opposer. J'essaie de laisser le récit se mettre en place "naturellement", quitte à plus tard retoucher certaines choses... Sur le premier Pas de chance, j'ai viré une séquence de vingt pages, parce que je me suis rendu compte après les avoir dessinées qu'elles étaient inutiles...
Comment se déroule « techniquement » la mise en place d’une histoire pareille ?
P. Riche : Je commence donc par noter des situations, des bouts de dialogues, des idées de personnages. Quand j'ai suffisamment d'éléments pour avoir une "orientation générale" de l'histoire que je veux raconter, je me documente, je fait des recherches pour enrichir l'ensemble et je mets en place un "séquencier" ou chacune des séquences est placée dans l'ordre et résumée en quelques lignes. Cela me permet d'avoir une vision d'ensemble et de souligner les points importants de chaque scène. Je peux ainsi attribuer un nombre de page à chacune d'entre elles. Ensuite, je découpe et dialogue la première séquence et... je la dessine...
Personnellement, tu as déjà croisé 3 types à poil qui regardent un macchabé sur une DS ?
P. Riche : Non, mais il m'est arrivé des trucs pas très loin de ça... J'avais envie que les personnages soient de plus en plus démunis face à une histoire qui se complique de plus en plus... Les mettre à poil rend les choses évidentes et cela permet de tous les mettre au même niveau à ce moment du récit.
Comment définie-t-on un personnage tel que Ernst-Lazare, collectionneur de morts ?
P. Riche : Pour Ernst-Lazare, j'avais besoin qu'il soit chargé d'un côté obscur et vaguement mystérieux sans qu'il ait jamais besoin de s'expliquer. Le côté morbide dans son boulot, c'est donc un gros raccourci, un cliché, qui permet d'éclairer le personnage sans avoir besoin d'utiliser de longues scènes pour le définir.
Pourquoi avoir repris les mêmes personnages pour la suite, L’association des cas particuliers ? Une frustration de ne pas avoir tout dit ?
P. Riche : C'est en racontant l'histoire, qu'on rencontre les personnages, il arrive même qu'ils refusent de faire ce qu'on a prévu. Après avoir fini Pas de chance, j'ai eu l'impression que le groupe des trois personnages principaux proposait quelque chose qui dépassait le cadre du "one shot" qu'était initialement Pas de chance. C'est de là qu'est née l'idée de les reprendre dans une série plus généraliste qui ne se définirait pas forcement comme une suite...
Une sorte d’ambiance « sex, drug and rock’n roll » est commune aux deux récits. Est-ce quelque chose que tu cherches à retrouver ?
P. Riche : J'ai pas spécialement l'impression de chercher ce genre d'ambiance, même si j'aime bien utiliser des personnages typés et les mettre dans des situations rocambolesques. J'aimerais à ma manière, retrouver le côté anar et déjanté des Pieds-Nickelés, un truc simple, énergique et libre.
Sens-tu que tu « progresses » dans ton travail ?
P. Riche : En gros, j'essaie d'aborder la Bande Dessiné en bloc, comme une écriture, en tentant de limiter au maximum la séparation entre le scénario, le découpage et le dessin. L' évolution du graphisme est donc liée à la narration. S'il y a une évolution (et j'espère un progrès) c'est donc en allant marcher sur de nouveaux territoires, en essayant de faire des trucs que j'ai pas déjà fait... Par exemple, en ce moment, j'ai envie de faire évoluer la narration vers plus de déséquilibre, avec des moments plus denses et d'autres au contraire plus légers... Des choses qui demandent beaucoup de pages...
Si tu avais une gomme magique, pour retoucher quoique ce soit après coup, l’utiliserais-tu et sur quoi ?
P. Riche : Si je commençais à gommer des trucs je n'arrêterais plus. Je préfère m'occuper de ce que je n'ai pas encore fait, plutôt que de ce que j'ai déjà fait.
Y aura-t-il une troisième aventure avec ces mêmes protagonistes ?
P. Riche : C'est en cours, ce devrait être une histoire en deux album autour de l'écrivain aventurier Henry de Monfreid.
Resteras-tu « auteur complet » par la suite ou as-tu des envies de collaboration particulières ? Si oui, avec qui ? Tu préférerais t’orienter côté scénario ou dessin ?
P. Riche : A priori j'aime beaucoup la possibilité qu'offre la BD de tout faire tout seul... Mais je n'ai rien contre le genre humain et n'exclus pas l'idée d'une collaboration avec un scénariste ou un dessinateur. C'est une question de rencontre... et de projet.
Quels sont tes (autres) projets en cours et à venir ?
P. Riche : En ce moment je travaille sur un Western...
Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?
P. Riche : Je pense que je mettrais pas mal de livres dans la fusée, des classiques : Hergé, Pellos, Tardi et d'autre bouquins plus récents comme Jimmy Corrigan, Lupus, Notes pour une histoire de guerre, Péplum, La marie en plastique, Big foot, la vie secrète des jeunes... Et plein d'autres que j'oublie ou que je n'ai pas encore lu.
Quelles sont tes influences (tout arts confondus : graphiques, musiques, ciné…) ?
P. Riche : En littérature, j'adore Céline, Genet, Conrad... Pour le cinéma Fellini, Dino Risi, Jarmush, les frères Cohen et beaucoup des films français des années 70...
Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans la peau et le crâne d’un autre auteur de BD (pour comprendre sa démarche artistique, par ex.), chez qui irais-tu voir le monde ?
P. Riche : J'ai jamais vraiment compris le boulot de Druillet... Ça vaudrait peut-être le coup...
Merci Philippe !