L'histoire :
Il y a 10 ans, afin de lutter contre la criminalité et la violence devenues excessives dans le pays et pour désengorger les prisons pleines à craquer, le troisième Empire de Tôto mit en place une loi de « Rationalisation des procès », ou RCP. Cette dernière accélère les procédures pénales en permettant de juger un accusé en son absence, mais aussi de déclarer la condamnation à mort ainsi que son exécution au plus tôt, que ce soit dans le tribunal, dans la prison ou encore dès que la police met la main sur l’accusé lorsque celui-ci n’a pas encore été attrapé. Pour remplir cette tâche, un groupe de 41 unités spéciales de trois personnes a été formé, le FSE - « Forces Spéciales d’Exécution », dont les membres sont détenteurs des pleins pouvoirs sur les personnes condamnées à mort et recherchées. Menant les enquêtes, ils exécutent ensuite froidement l’accusé quel que soit l’endroit où il se trouve. Cette façon de faire sans pitié leur a voulu le surnom de « poupées », ou « dolls », auprès du public comme auprès de la police régulière. La 1ère unité du FSE, la plus efficace et à la réputation la plus cruelle, intervient en ce moment sur les lieux d’un braquage où les malfaiteurs se sont retranchés dans une banque. L’un d’entre eux étant un condamné à mort, les deux membres de la brigade, le capitaine Shôta Mikoshiba et le lieutenant Seiju Shikibu, font fi des ordres du commissaire de la police régulière déjà sur place et entrent dans l’établissement sans chercher à négocier. Il ne leur faut que quelques secondes pour tuer tous les suspects, n’en laissant donc aucun pour permettre à la police de mener un interrogatoire - ce qui rend le commissaire fou de rage - sauf leur condamné qu’ils ressortent à l’extérieur le temps de vérifier son identité, avant de l’abattre devant tout le monde... De retour au quartier général, les deux membres de l’unité 1 vont faire la connaissance d’Usaki Tôdô, sorti major de sa promotion. Ce dernier intègre alors leur équipe en tant que 3ème membre et, pour le coup, se montre tout à fait froid et n’usurpe pas sa réputation de « doll ». Mais cela gêne le capitaine qui estime qu’on ne peut exercer ce métier en étant dépourvu de sentiments...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après Amatsuki, 07-Ghost, Saiyuki Reload ou encore Loveless, Dolls est la nouvelle série à arriver en France en provenance du magazine de prépublication Zero-sum des éditions Ichijinsha dont le cœur de cible sont les jeunes femmes adultes amatrices de séries d’action, mais calibrée pour elles. C’est donc un nouveau titre josei qu’il nous est donné de lire ici, qu’on classera plutôt en seinen dans nos contrées car les sentiments ne sont pas à eux-seuls le cœur du récit comme on en a l’habitude. L’histoire prend place dans le futur, dans un état imaginaire, l’Empire de Tôto, ressemblant fort au Japon et dont la politique est très largement empreinte de fascisme pour ce qui est de la politique sécuritaire - d’ailleurs, les uniformes des héros sont clairement inspirés de ceux des SS allemands. La criminalité étant devenue ingérable, le gouvernement de l’Empire a voté une loi permettant de juger et de condamner à mort les criminels sans qu’ils ne soient présents ou même sans qu’ils n’aient encore été arrêtés. Pour retrouver et exécuter ces condamnés à morts en leur absence, la brigade spéciale du FSE a été créée et ses membres ont la réputation d’être des tueurs ne faisant pas de sentiment, comme s’ils n’étaient que des « poupées » sans âme (d’où le titre). Avec tous ces beaux jeunes hommes et une ambiance qui vire parfois au shônen-aï entre certains protagonistes (sans parler du soin apportés aux vêtements - il y a d’ailleurs 2 uniformes différents, un blanc et un noir), on sent bien que l’histoire est réalisée par des femmes, pour des femmes (enfin, à l’origine). Les sentiments des protagonistes sont donc bien évidemment un peu plus présents que la normale mais on assiste surtout à de l’action avec à chaque chapitre une nouvelle exécution et autres scènes sanguinolentes. Mais le scénario ne se contente pas d’enchaîner simplement les missions et chaque nouvelle partie apporte un peu plus aux protagonistes. D’ailleurs, les choses se complexifient au fur et à mesure. Par exemple, la nouvelle recrue du FSE respecte le règlement à la lettre en ne se posant pas de question et se comporte comme un robot sans sentiment qui justifie pleinement son surnom de poupée, ce qui ne plaît pas à ses collègues. On découvre également qu’il existe des « chasseurs de poupées » qui tendent des pièges aux membres du FSE afin de les tuer, que Shôta est intimement lié à un commissaire de la police normale mais que ce dernier ne sait pas que son ami fait partie du FSE (dont les membres agissent à visage à moitié couvert), etc. Par contre, le coup de ces deux hommes qui vivent ensemble et dont l’un ne reconnaît pas l’autre lorsqu’il met un masque qui ne lui cache que la bouche et le nez, c’est assez peu crédible... Et ce n’est pas le seul problème dans ce goût-là car le caractère de certains protagonistes est également parfois dur à avaler : celui qui est le plus facilement impressionné, voire dégouté, par le sang et les boucheries est le même qui tue les condamnés à mort en les tranchants en morceaux avec un fil de fer ! Mis les uns derrières les autres, ce genre de petits détails décrédibilisent un peu l’œuvre et mettent à mal l’immersion du lecteur dans l’histoire. Quant aux enquêtes pour retrouver les condamnés, elles n’apportent que très peu de challenge vu qu’un service des renseignements prépare à chaque fois le terrain pour les exécuteurs et on sent donc bien que ces enquêtes ne sont donc pas le cœur du récit. Néanmoins, la section 1 (celles des héros) s’occupe principalement des cas les plus difficiles et on a donc droit à tous les psychopathes et autres dangereux criminels, dont certains réservent quelques surprises, et on ne s’ennuie donc pas vraiment. La mise en scène est dynamique et souvent travaillée pour ce qui est des cadrages, mais pour autant n’est pas toujours très clair (il faut dire que certains protagonistes se ressemblent un peu trop parfois, ce qui n’aide pas). Une petite explication sur le jugement par contumace (absence de comparution de l’accusé d’un crime), terme utilisé à plusieurs reprises dans l’ouvrage, aurait également été bienvenue étant donné que le mot est spécifique au domaine des procédures pénales et donc assez peu connu du grand public. Au final, ce titre un peu décalé est dans la pure lignée des seinen qui posent des questions sur la politique anti-criminalité (comme Battle Royale ou Ikigami - Préavis de mort), mais possède 2 ou 3 défauts qui le font pour le moment passer à côté de l’excellence. Néanmoins, quelques touches d’humour viennent alléger régulièrement le récit, autrement assez sombre et vraiment saignant, et ce cocktail étrange au départ finit par charmer petit à petit. Ce n’est que le début ; espérons que la suite permette d’exploiter de meilleure manière tout le potentiel de l’histoire.