L'histoire :
Constance, âgée d'une dizaine d'année, est élevée à la dure dans une grande maison campagnarde du côté de Brie, par son grand-père Émile et sa grand-mère Adelaïde. Une instruction rigoureuse lui est chaque jour prodiguée par l'impitoyable Adelaïde dans l'enceinte même de la propriété, dont l'orpheline a l'interdiction absolue de sortir. A la moindre désobéissance, à la moindre bêtise, la punition est redoutable : elle doit passer la nuit dans le grenier, seule, sans lumière, au milieu des araignées. La grand-mère n'hésite jamais non plus à se servir du martinet. Passif et soumis, le grand-père laisse faire, sans jamais défendre l'enfant – il redoute bien trop le courroux de son épouse. Constance trouve toutefois un peu de liberté dans la lecture, ou à travers les aventures imaginaires qu'elle s'organise dans l'aile abandonnée du manoir, ou encore dans le jardin, où elle joue avec le chat Noirette. Par moment, elle se demande comment étaient ses parents, qu'elle n'a jamais connus. En effet, laseule photo qu'Adelaïde et Émile ont encadré chez eux est celle de leur premier enfant, Eléonore, morte à dix ans d'une maladie brutale. Constance n'ose jamais demander comment ils ont disparu, craignant plus que tout la violente réaction épidermique de sa grand-mère. Un jour, sa grand-mère lui présente la famille Da Costa, des portugais qui viennent s'installer gracieusement dans la petite maison du jardin, en échange de l'entretien de la maison et du gardiennage de la propriété. Toute intimidée, Constance se retrouve pour la première fois face à des enfants de son âge...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Cela commence par un contexte difficile strict, une éducation d'un autre temps, des mœurs ultra rigoristes appliquées par ses grands-parents à une enfant de 10 ans. L'auteur Mathias Lehmann ne lésine pas sur l'austérité de ton, relayée graphiquement par un dessin encré en noir et blanc, tout strié, à la manière de la technique dite de « carte à gratter ». Les nombreux narratifs et les expressions faciales caricaturales viennent toutefois alléger le propos et accompagnent le lecteur dans la découverte de la vie contrite et encadrée de cette pauvre enfant de dix ans. Des bribes d'humour, par moment (Giscard !), ainsi qu'un découpage aéré et inventif des planches, majoritairement sans bordures de case, ajoutent aussi l'air nécessaire à ce qui aurait pu être une narration pesante. Au fil de la lecture de ce solide roman graphique, l'environnement de Constance se complète néanmoins de manière sévère et tragique, progressivement étayée par des révélations choc sur ce contexte familial pesant, qui en accroissent à chaque fois l'intensité... et la cohérence. La chronique sociale tourne ainsi insidieusement au thriller, admirablement construit, impliquant de fait le lecteur dans une complicité de non-dénonciation pour maltraitance. En ressort un thriller familial génial, abouti et prenant, sans aucun doute l'une des meilleures BD de l'année 2015.