L'histoire :
Décembre 1944. La guerre touche à sa fin. Dans un sursaut d'orgueil, Hitler joue son ultime vatout, par une offensive dans les Ardennes belges. Face à ce coup de poker, les alliés parachutent des vétérans et des bleus, sous-équipés pour faire face à la rudesse de l’hiver. Un jeune soldat se retrouve alors placé dans un trou d'obus occasionné par un bombardement allié. C'est sur cette scène apocalyptique que se jouera la partie, en huis-clos, avec des fantômes pour invités surprise. On y trouvera Joseph, un crâne monocle, simple civil tué au début de la première guerre, aux côtés de Mandfred le Prussien, l'ennemi d'alors. Les surplomberont, sur une croix, Amédée Tissot, ancien instituteur du village, mort dans l'entre-deux-guerres d'une cirrhose au foie et qui a, depuis, au dire de Joseph, une « cirrhose de la foie. » Survoleront ce théâtre de guignols deux corbeaux, incarnés par le curé et son sacristain. Qui sait alors ce qui adviendra du jeune pion dont le nom restera inconnu ? D'un coté se trouve l'ennemi et Amedée, qui attend impatiemment l'arrivée d'un quatrième mort pour disputer une partie de belote. De l'autre côté, la bienveillance de Joseph et de Mandfred qui se sont pris de sympathie pour le « bleu ». Le sacristain et le curé joueront quant à eux le dur rôle d'arbitre. Et c'est sur un rythme endiablé que la mort dansera l'un de ses meilleurs tangos, digne des plus grands carnavals de Rio...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans le paysage du 9e art, de grands auteurs ont déjà traité des guerres mondiales avec panache. Il faut donc être téméraire pour s'attaque une énième fois au sujet. Dieter Comès est née en 1942, dans une région tantôt germanophe, tantôt francophone. Imprégné par cette ambivalence, il nous offre un regard totalement nouveau de la seconde guerre mondiale. Effectivement, pas de manichéisme ici, pas d'histoire d'amour ou de héros intrépide. La seule méchante de l'Histoire se déclare être la guerre elle-même, avec son lot de morts stupides, soit à cause des balles ennemies, soit des erreurs d'artillerie. Le titre, Dix de der, fait à lui seul le bilan de notre « humanité », faisant référence à celle qu'on a nommé la der des der. Proclamant aussi que nos politiciens considèrent trop souvent nos soldats comme de simples pions. Le seul espoir est alors d'aspirer que cette guerre soit effectivement le dernier pli. Et tous ceux qui douteraient que la BD fait partie intégrante de l'Art, comprendront en lisant celle-ci qu'ils se sont trompés. Certaines scènes sans texte sont plus parlantes qu'un film de Charlie Chaplin, et l'hémoglobine en noir et blanc se révèle plus expressive que réellement teintée de rouge. Les plus pragmatiques des lecteurs seront certainement déstabilisés par l'apparition de fantômes (dont des corbeaux parlant). Ils penseront peut-être que Comès se trouve hors-sujet, alors que la quintessence de l'œuvre se trouve là. L'auteur traite admirablement le sujet, à l'image de son dessin : avec humour noir, au vitriol, brûlant de vérité, mettant l'horreur de la guerre à nu. Sans misérabilisme, sans faux semblant, il pose aussi indirectement la question cruciale : de quel côté s’assoie Dieu dans une guerre ? Comme le laisse sous-entendre le Sacristain: « Dites-moi, monsieur le curé ?... Et Dieu dans tout ça ? » « Dieu notre saigneur. » Un grand bravo à Comès qui, en digne successeur de Shakespeare, conte cette tragédie de manière théâtrale. Une œuvre à parcourir régulièrement, en l'honneur du soldat inconnu.