L'histoire :
Augustin et Sauvageon sont brancardiers dans le 98ème régiment d'infanterie de la Somme. La guerre fait rage. Les tranchées opposent les Anglais et Francais d'un côté, et les Allemands de l'autre. Les deux hommes doivent porter le soldat Grumeau à travers les lignes. Il s'est blessé gravement à la tête et il hurle tellement à la mort que les brancardiers sont obligés de le transporter à l'arrière. Avancer au milieu des barbelés, des cadavres et des obus n'est pas simple. Sans compter que l'homme fait son poids. Les deux brancardiers finissent par faire une pause devant une statue du Christ. Sauvageon demande à son coéquipier s'il croit en Dieu. Lui n'est pas sûr d'y croire parfois. Augustin ne croit qu'en une seule chose : le pouvoir des femmes et il montre une photo de femme nue ! Leur conversation est interrompue par un déluge d'obus à billes. Sauvageon semble gravement blessé et Grumeau hurle à la mort. Fou furieux, Augustin finit par étrangler le blessé pour éviter de se faire repérer. Un capitaine blessé appelle au secours et l'officier souffre à cause d'une vilaine blessure, au milieu de soldats noirs tués au combat. L'enfer est ici...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
La der des ders ? Avec Dernier assaut, Tardi annonce qu’il s’agit de sa dernière bande dessinée sur la première guerre mondiale. Après avoir consacré plus de dix albums à la grande guerre en tant que dessinateur ou auteur complet, une page semble se tourner dans la carrière de Tardi. Après avoir décrit les conditions de guerre dans les tranchées, après avoir fait un relevé des années de la guerre, Tardi décrit le quotidien d’un simple brancardier, Augustin. La voix off, désespérée et accusatrice, dénonce toutes les horreurs et les absurdités d’une guerre qui n’a aucun sens : « l’autel du crime de masse légalisé ». A travers les interrogations et angoisses de son personnage (qui lui ressemble d’ailleurs fort), Tardi fait un relevé complet et impressionnant sur tous les détails historiques que ne vous donneront pas les manuels scolaires. Ainsi, on apprend tous les gaz possibles et imaginables inventés pour exterminer les combattants ; les différents armements pour mieux étriper ou pulvériser ; les mesures politiques pour mieux grignoter un terrain dévasté. Chiffres à l’appui, le constat est sans appel et fait froid dans le dos. La force de cet album réside aussi dans son évocation très étendue : Tardi n’oublie pas les soldats étrangers et une grande place est laissée pour ces oubliés de la guerre, les Canadiens comme les Italiens, les Anglais et les commis chinois, les Russes et les tirailleurs africains, les Indiens sans oublier tous les animaux envoyés dans un abattoir vaste et effroyable. Le but n’est pas de rendre hommage aux malheureux fauchés par la guerre, mais bien d’hurler sa colère contre les généraux irresponsables, les politiques meurtriers et les industriels planqués de cette période, qui ont orchestré ce vaste génocide de tous les peuples et de tous les âges. Certaines anecdotes ont de quoi faire vomir aussi sûrement que les pauvres bougres enfermés dans leurs tranchées immondes dégueulaient leurs tripes. L’album a la précision macabre de Putain de guerre et le ton violent et désespéré de C’était la guerre des tranchées. Certains passages sont inoubliables, comme le changement de perspective avec l’histoire pathétique de l’officier allemand ambitieux Ernst ; et bien sûr l’assaut final qui dure plusieurs pages. Le dessin de Tardi reste mémorable et particulièrement inspiré : le graphisme est aussi dur et violent que les mots et les détails visuels vous resteront gravés comme des cauchemars terrifiants. Des bouts de cervelle, des boyaux pendants sur des barbelés, des cris de gueules hirsutes, des corps en décomposition, des explosions immenses, la terre éventrée… Tardi déchaîne l’enfer à coups de traits rageurs et désabusés. Originalité de cet opus : Tardi élargit son art et s’associe une nouvelle fois à sa femme Dominique Grange. Un CD est joint à la fin de l’album, où le groupe Accordzeam accompagne les paroles de Tardi et la voix pleine de force de Dominique Grange dans des musiques belles et profondes. Ce dernier assaut gigantesque contre la guerre va au-delà du devoir de Mémoire : c’est un devoir d’ouvrir les yeux et de dire non !