L'histoire :
Victor est un petit être naïf, seul et influençable. Un beau jour, son oncle, à qui il manque l'œil droit, lui explique que sa prothèse oculaire est un objet magique lui ayant autorisé bien des choses : vol de plans secrets, complots déjoués, secrets d'alcôves dévoilés... Ni une ni deux, il n'en faut pas plus pour que le petit Victor se crève un œil, histoire d'avoir la même prothèse que son oncle. Sauf que dans la réalité, il perd réellement son œil gauche et la vue... Un peu plus âgé, il fait la rencontre d'une femme artiste, laquelle peint des animaux en liberté, en plus d'avoir un trou au ventre qui lui permet de lire dans le regard des bêtes des choses insensées. A partir de ce moment, le jeune Victor (il a alors 16 ans) va se découvrir une vocation de peintre. Problème, il n'a pas d'argent et souhaite installer son atelier à Paris. Il décide alors de tuer et de voler l'argent d'un homme-cheval. Voilà Victor riche, mais maudit, avant d'entamer une carrière de peintre parisien et mondain. Depuis ce jour, il ne peut peindre que des canassons et son imaginaire est peuplé de fantômes lancés à sa poursuite, inlassablement...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après l'Art et le Sang, petit brûlot anticonformiste et clownesque sélectionné à Angoulême en 2010, Benoit Preteseille revient avec Maudit Victor, fable cruelle sur la marche du monde vérifiant l'adage célèbre selon lequel bien mal acquis ne profite jamais. Et si le cheval est la plus noble conquête de l'homme, Preteseille inverse le sens de la maxime en soulignant qu'il n'existe pas de conquête éternelle, bien au contraire. Manifestation de la mort, animal des ténèbres et des pouvoirs magiques, symbole du psychisme inconscient, le cheval de la BD poursuit au fond de nous et de notre conscience sa course infernale. Le maudit Victor l'apprendra à ses dépens, anti-héros tragique d'une vie absurde, figure hippomorphe hantée par ses démons et condamné à jamais à une existence rythmée par l'insatisfaction, la vanité, l'ennui et la médiocrité... Sorte de cheval métamorphosé en homme, Victor est littéralement chevauché par son destin, possédé et monté par un esprit, celui de ses péchés originels en fait : son automutilation manquée, suivie d'un meurtre et d'un vol. Victor, l'homme-cheval vaniteux et stupide, sera éternellement un peintre maudit, incapable de s'accomplir à travers son art. De ce pitch, Preteseille peint un conte tragique et contemporain, fin et intelligent, toujours à rebours de la morale conformiste. Louvoyant entre fable fantastique et peinture sociale réaliste, l'auteur offre un tableau à la fois absurde et désespéré du monde tel qu'il va, avec une bonne dose de désenchantement et de dérision. Et en point d'orgue, quelques dessins en doubles pages qui ont valeur d'œuvre d'art, tranchant avec le trait simple et naïf du reste de l'ouvrage. Très beau. Moins percutant peut-être que l'Art et le Sang, mais plus puissant graphiquement et toujours aussi lucide, ce Maudit Victor mérite que l'on s'y attarde. A lire.