L'histoire :
27 août 1965, un homme descend le petit chemin qui le mène de sa maison moderne à la plage privée en contrebas. Il part se baigner, mais ne reviendra pas. Il s'agit du célèbre architecte Le Corbusier. Flashback : 1933. Cette même maison est habitée par un couple : Eileen et Jean. Eileen (Smith) Gray est née en 1878 en Irlande d'un père artiste et d'une mère, Eveleen Pouden, petite fille de conte. Cadette de sa sœur Thora, elle fait preuve assez tôt d’un caractère malicieux, ainsi que d'habiletés artistiques. Après avoir appris le travail de la laque à Londres en 1905 auprès de D. Charles et Seizi Sugawara, elle monte en 1922 à Paris une boutique de meubles laqués, sous le nom de Jean Désert. Fréquentant les cercles artistiques et lesbiens de la rive gauche, elle va faire connaissance, entre autre, de l'architecte Jean Badovici, avec lequel elle aura une relation. Elle fera construire leur nid, une maison moderne à Roquebrune en 1924 : la E-1027. Celle-ci met l'humain au cœur du processus, allant en cela à l'encontre des principes de son collègue le Corbusier. Ce dernier sera à l’origine d’une trahison, qui provoquera le départ de la jeune femme.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Cette « maison sous le soleil » donne à découvrir ou redécouvrir, même si de manière un peu superficielle, une époque d'intenses évolutions culturelles en ce qui concerne les arts en Europe. Il est plaisant de voir comment Zosia Dzierzawska, illustratrice italienne, ayant hérité de son père une passion pour l'urbanisme, met autant son style dandy et feutré au service d'une histoire personnelle baignant dans les années folles. Par moment, ses dessins à la grâce toute moderne, évoquant quelque peu ceux de Berbérian, s'étalent sur une ou deux pages entières et révèlent alors l’entièreté de leur charme. L'histoire, écrite par une autrice, architecte urbaniste elle-même et enseignante à Zurich, mêle habilement les flashbacks. Elle transmet les émotions créatrices de cette femme originale, décédée en 1976, et dont les travaux novateurs n'ont été vraiment reconnus que quelques temps avant sa mort. La villa E-1027 a, quant à elle, été inscrite au titre des monuments historiques en mars 2000. Un prologue documentaire, des biographies et une bibliographie concluent le livre, habillé dans un cartonnage toilé aux couleurs Mondrian du plus bel effet. Dans le même esprit, on pourra compléter sa lecture avec l'incroyable ouvrage didactique Le Temple du silence, consacré à peu près à la même période artistique, paru fin 2019 chez Urban books. Ravissant et intéressant.