L'histoire :
Dans une grande métropole espagnole, un convoyeur de fonds termine son service. Il vient de passer sa journée à surveiller un pactole constitué de milliers de liasses de billets de 20 euros, le temps d’un reportage télévisé sur la crise financière. Or, la première chose qu’il fait, c’est… de tirer de l’argent à un distributeur bancaire. Un billet de 20 euros. Quelle ironie ! Cap sur la pharmacie la plus proche, où il achète une batterie complète de médicaments pour soigner un rhume en puissance. A peine en est-il ressorti, que le billet est remis en circulation : la pharmacienne le rend en monnaie à une petite vieille atteinte de lombalgie. Il est rangé au sein d’un portefeuille, qui fait aussitôt le bonheur d’un pickpocket à un arrêt de bus. Dans un bar, le pickpocket s’en sert pour payer des tickets de loterie… Le vendeur de ticket le rend à un pauvre bougre qui vient noyer sa déception amoureuse dans l’alcool. Ivre de rancœur, il inscrit « Sonia Putain » sur le billet, pour que son mal-être soit circonscrit à jamais, à la postérité. Puis il perd le billet, en proie à son chamboulement intérieur. La journée passe et une femme de ménage le trouve chiffonné au sol, le soir venu. Le lendemain, elle en fait don à un démarcheur caritatif…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Bienvenue dans une chronique urbaine contemporaine dont le héros n’est autre qu’un… billet de 20 euros ! De mains en mains (trad. Française de Mano en mano), nous suivons en effet le périple et la destiné de ce précieux et pourtant simple petit morceau de papier, si utile à nos mécanismes sociaux. De sa sortie fraîche et fringante d’un distributeur bancaire, à son ultime « sépulture » (encadré et accroché à un mur), ledit billet passe par bien des turpitudes… Le contexte est celui d’une grande métropole espagnole (vraisemblablement Madrid) dans laquelle les acteurs humains sont donc tous des seconds couteaux. Vous pourriez penser que cette idée originale tourne vite au catalogue rébarbatif de banals échanges commerciaux. Cela débute effectivement ainsi, le temps d’identifier clairement le principe narratif du one-shot. Ensuite, le scénario d’Emilio Ruiz dépasse le cadre du simple exercice de style, qui s’avèrerait vite pénible, pour s’intéresser au gré des contacts humains, à moult sujets de société primordiaux, en autant de micro séquences chorales non dénuées d’humour (léger). Peu à peu, le lecteur oublie alors le périple du biffeton, pour prendre le recul idoine et devenir un macro observateur de nos échanges sociaux. En ce sens, ce récit inédit est subtil et riche de sens. Certes, l’angle du propos est explicitement orienté : le billet ne passe qu’entre les mains de petites gens… et même de toutes petites gens terriblement dans le besoin (pickpockets, mendiants, prostitués…). Autre atout terriblement séduisant : ce one-shot original est mis en relief par la compagne de Ruiz, qui n’est autre qu’Anna Mirallès ! La dessinatrice de Djinn change ici radicalement de registre, passant avec une grande aisance du récit historique sensuel à la chronique urbaine sociale et philosophique. Bref, voilà un motif judicieux de dépenser un billet de 20 euros…