L'histoire :
Les parents du narrateur attendent à dîner le marquis de Norpois, ancien ambassadeur plénipotentiaire de l’Empire, personnellement reconnu par l’empereur et craint par Bismarck lui-même… Et si sa mère aurait préféré pouvoir inviter des personnalités telles que le professeur Cottard ou Swann, le narrateur n’a de pensées que pour la représentation de Phèdre, qui serait l’occasion de mettre en relation l’un de ses textes préférés avec une grande actrice, la Berma. Il passe son temps à se réciter la tragédie de Racine pour imaginer le plus d’intonations possibles et espérer être encore surpris par une invention de la diva. Le jour de la représentation, le jeune homme est forcément déçu, lui qui s’attendait à de grandes envolées romanesques. Sa rencontre avec le marquis de Norois le soir-même le chamboule énormément : sa passion pour Bergotte est ridiculisée par le politicien qui méprise le goût du mot de l’écrivain, alors que le jeune terne de la Berma est porté aux nues pour son absence d’artifice. Etonné par ces préférences, le narrateur se laisse influencer et décide qu’il s’était trompé. Bientôt, il peut de nouveau se balader aux Champs-Elysées et revoir Gilberte Swann…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
On a déjà tout dit du travail de Stéphane Heuet. 25 ans de labeur, six albums et il débute A l’ombre des jeunes filles en fleurs, deuxième tome d’A la recherche…, prix Goncourt 1919. Son choix est frustrant pour tous : pour les puristes, il découpe l’un des textes les plus aboutis, les plus ciselés déjà de l’Histoire de la littérature. Il y manque forcément tout ce qui fait la force dramatique de Proust. Pour d’autres, il ne fait pas œuvre d’adaptation, étant entendu qu’il ne livre pas sa vision de l’œuvre, mais bien de vulgarisation. On ne peut pas sortir de cette lecture entièrement satisfait. Pour autant, on peut apprécier le travail de titan effectué par le marin. Son séquençage, à première vue rébarbatif tant les pages sont mangées par les récitatifs et les phylactères, est paradoxalement agréable à lire. Les dessins ne sont là que pour appuyer le récit, dans la plus stricte tradition de la ligne claire. Il mélange les portraits fidèles aux représentations naïves de certains personnages, ce qui est très déstabilisant mais permet de rester attentif aussi au dessin. Certains de ses paysages, en revanche, sont magnifiques. Surtout Paris et ses immeubles, qu’il adore, dessinés avec minutieux et un trait d’une grande finesse. On se plaît à rêver quelquefois que Heuet va substituer sa propre narration, mettre plus de ventre dans son travail et moins de tête ou de cœur, mais ce serait probablement renier ce qui a fait son succès jusqu’alors. Ses albums restent des vulgarisations minutieuses et intelligentes d’un chef d’œuvre qui n’avait pourtant besoin de rien. Et ce nouvel opus ravira ceux qui l’attendaient avec impatience depuis 6 ans.
