L'histoire :
Un après-midi de janvier 1934, Fritz Haber se repose dans une petite pension familiale helvétique. Une radio fait entendre des discours politiques à peine audibles, lorsque l'homme se décide à sortir malgré le froid et la neige qui recouvre les versants montagneux. Affublé d'un lourd manteau lui donnant l'air d'un vieil ours, il rumine : qu’elle paraît loin cette Palestine que promettait Weizmann ! Avancé plus avant dans la forêt, il s’arrête un instant pour se désaltérer au pied d'une cascade. Tapi derrière les sapins, un oeil inquisiteur le fixe. Tout avait commencé lors d'une maussade journée d'avril 1888, à Breslau, lorsque, demandant à son père de ne plus l'appeler par son nom juif de Jacob, il s'était vu répondre "Revenez plus tard Mr Fritz Haber !". Son père ne comprenait pas ses difficultés à faire carrière malgré son génie. Son oncle Hermann, lui, s'était converti à l'esprit du temps...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Pourquoi se mentir ? Il y a des BD que l'on hésite à acheter : celle-ci en fait partie. Un format inhabituel, des vignettes sous-titrées entrecoupées d'écrans d'ardoise noire explicitant l'action des personnages. Bref, on croirait voir un vieux film des débuts du septième art. On hume l'air de la Belle époque, ainsi nommée au regard de la boucherie qui suivit. Devant ce tableau jauni, on hésite donc : quel parti prendre ? Obéir aux modes ou se démarquer ? L'œil « flou » en couverture interpelle et laisse planer comme un malaise : juif allemand, Fritz Haber a visiblement quelque attitude passée à se reprocher. Dès le prologue, il s'interroge en conscience sur son identité : "Enfant aux yeux clairs, ignorant de toi-même, je vais te faire connaître celui que tu as assassiné" (Wagner, Siegfried). D'après le Tueur, sur dix personnes prises au hasard, sept sont prêtes à refroidir ou torturer leur prochain, comme ça, afin de se conformer et ainsi renier leur humanité. Tout est question de choix. Ne vous fiez pas aux apparences d'un temps heureusement révolu. David Vandermeulen signe là un chef-d’œuvre. Il faut parfois savoir passer outre son génie pour en découvrir l'esprit. Qui que l'on soit, on ne sera jamais jugé que sur nos actes...