L'histoire :
Jeune séminariste au Nicaragua au temps de la dictature, Gabriel met ses talents de dessinateur au service d’une fresque dans l’église de San Juan, patelin paumé au cœur de la jungle. Rapidement intégré parmi la population, il comprend vite que le prêtre Ruben, ainsi que la majorité des habitants, soutiennent la révolution. Malgré ses origines bourgeoises, lui-même partage pleinement les souffrances infligées par la dictature, au point de cacher des armes pour les rebelles. Mais un jour, l’armée finit par tout découvrir, notamment en faisant avouer Gabriel. S’ensuivent des assassinats, des arrestations… et le village est brûlé. Rendu aux « bons soins » de sa famille, Gabriel, rongé par le remord, s’enfuit dans la jungle, blessé et sans ressources. Déambulant tel un pénitent, fuyant la traque des soldats, il est repêché et soigné par une poignée de guérilleros. Parmi ces derniers, se trouve un militaire américain, qui doit servir d’otage pour la libération de Ruben. Il reconnait également à ses yeux bleus, l’européen masqué qu’il a aidé en cachant des armes. S’ensuit alors une marche harassante de plusieurs jours à travers la pampa, pour rejoindre le camp de base à la frontière. Cette traversée lui permet de faire plus ample connaissance avec les rebelles et leurs idéaux. Mais la traque que leur mènent les soldats et les obstacles de cette région particulièrement hostile, transforment peu à peu ce périple en enfer…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Il paraissait difficile de rivaliser avec le premier épisode de ce diptyque bouleversant à plus d’un titre. Avec une virtuosité graphique et narrative intacte, Emmanuel Lepage nous livre néanmoins une conclusion peut-être encore plus poignante. On comprend d’emblée que le premier tome n’était que la mise en place de multiples mutations. Dès la reprise, le récit repart très fort : rongé par la culpabilité, tel un pèlerin déambulant dans la jungle, Gabriel cherche la rédemption. Il renaîtra après un bain forcé, découvrant et construisant peu à peu sa nouvelle identité. Tout au long du périple, crevant et trépidant, qui l’attend à travers un territoire particulièrement hostile, la question de l’idéal politique n’est jamais escamotée par la romance du héros. En effet, pour la seconde fois (après Nevé) Emmanuel Lepage traite (aussi) du thème de l’homosexualité de fort belle manière. Qu’il s’agisse de traduire l’exaltation de corps enchevêtrés, l’intensité lors des nombreuses séquences d’action, ou l’abattement du à la perte d’un proche, Lepage trouve toujours la juste transposition graphique. Ses planches en couleurs directes, dominées par le vert « moite » de la forêt tropicale, prouvent une totale maîtrise de son art (il parait même qu’il a jeté et recommencé 15 planches qui ne le satisfaisaient pas !). Il y a tant de choses dans ce diptyque, représentant tout de même au final 154 planches ! Gabriel provoque de toutes ses forces, de toute son âme le tournant de sa vie. Ses désirs le plaçant dans le camp des exclus, il refuse d’intégrer sagement l’élite accordée par sa naissance. Mais les seconds couteaux ont eux aussi beaucoup de choses à raconter… Rarement la « crise » de l’adolescence n’aura trouvé plus belle métaphore qu’à travers ce virage politique qu’exhorta en martyr le peuple nicaraguayen. Pour le régime tout comme pour le héros, le temps de la maturité est venu, mais il se raffermit dans la douleur. Violences et tendresses exacerbés, à travers une épreuve aux airs d’expiation, de révolution, de délivrance. Tout comme la personne, l’âme collective se construit en acceptant ses contradictions. Un chef d’œuvre !