L'histoire :
La mer, à nouveau, le froid cinglant et sec, la blancheur immaculée… Ce continent dont le quidam ne connaît rien et tend à oublier son existence, le désert de glace. Le « monde des extrêmes ». Un an après son voyage sur le navire ravitailleur des Terres Australes Françaises, le Marion Dufresne, Emmanuel Lepage se voit proposer une nouvelle expédition vers le A qu’il manque aux TAAF : l’Antarctique ! Yves, le directeur de l’IPEV, l’Institut Polaire Français Paul Emile Victor, et grand amateur de BD, voit chez le dessinateur l’occasion de rendre compte des « programmes scientifiques qui […] sont menés, les différents corps de métier, la vie quotidienne » à la base de Dumont d’Urville Terre-Adélie. Pour le breton, c’est la réalisation d’un rêve de gosses qui se profile, de deux gosses qui jouaient ensemble aux explorateurs ; impossible à vivre sans son frère ! Emmanuel pousse les doléances : n’est-ce pas l’occasion unique de participer au Grand Raid, cette expédition de 1400 km en camion-chenille reliant la base à la station Concordia, en plein cœur du continent ? Mais dans ces contrées, l’Homme est bien plus assujetti aux pouvoirs climatiques qu’aux hommes eux-mêmes…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Les îles australes, Tchernobyl, l’Antarctique… Est-ce l’hérédité bretonne des Lepage qui les anime de cette attraction pour les univers hostiles ? Le dessinateur et le photographe nous embarquent à nouveau vers ces terres extrêmes, à travers une forme narrative qui se fait chaque fois plus mixte. Après Voyage aux îles de la désolation (2011), Emmanuel évoquait le plaisir et l’épanouissement artistique qu’il avait éprouvé en s’ouvrant à la liberté de l’improvisation, qui avait produit un récit graphique hybride mêlant bande dessinée, croquis et illustrations. Ce processus créatif est maintenu dans La Lune est blanche, enrichi des photos de François. Pastelles, aquarelles, crayons, lavis, clichés se côtoient et superposent des moments et des regards variés. Cette matière graphique qui révèle la trace de ses auteurs est porteuse de ce qui se joue profondément : plus qu’un simple témoignage, c’est toujours l’expression d’une émotion personnelle et/ou collective dans le huit clos d’un monde menaçant qui fonde la démarche de(s) Lepage. On pénètre par le trou de la serrure dans le petit monde des ornitho-, climato-, géo-, sismo-logues unis par un espace commun. On est donc, ici comme dans les précédents livres, touchés par l’expérience exceptionnelle des auteurs et de ceux qui les entoure, et par la sincérité avec laquelle il nous la livre. Extrêmement documenté, l’album nous invite à partager l’imaginaire du dessinateur, nourri des aventures vécues par les explorateurs de chair ou de papier : héros de Jules Verne ou de Stevenson, La Guerre des Etoiles, Amundsen et Scott qui ont mené un combat acharné pour la conquête du Pôle Sud… Toute l’histoire des expéditions menées en Antarctique y est savamment retracée dans un sépia qui évoque les illustrations d’antan. Bien que parfois un peu denses et inégales, les planches de l’album savent cependant laisser respirer de magnifiques images et donner toute sa place au silence de la matière. Si la mer était à l’honneur dans le Voyage, c’est ici la neige et la glace, dans leur pureté, leur variété et leur toute-puissance, qui s’expriment. Face à ce monstre fascinant et de plus en plus menaçant, les deux héros (épiques ?) unissent enfin leurs forces et leurs arts(mes) pour mener à bout leur projet. Conquérants d’une « lune blanche », ces Ulysse des temps modernes ne nous invitent-ils pas à partager le récit d’un succès tant personnel que fraternel et artistique ? Album de l’épanouissement ? On en frissonne avec eux.