L'histoire :
Devant les grilles d'une usine en grève, Hannibal et son fils Fabio arrivent pour retrouver leurs collègues. Le moral des troupes est au plus bas, l'annonce de la fermeture du site pour délocalisation est un coup de massue pour ces familles dont la vie dépend de leur job ici. Pourtant, certains se disent qu'il n'y a plus rien à faire, que si la décision est prise par la multinationale, il vaut mieux tenter de négocier des indemnités. Hannibal est furieux de ces réactions, il veut se battre coûte que coûte. Il est déçu aussi de son fils qui aimerait partir plus tôt pour aller à son entrainement de foot. Au même moment, devant la grille du centre d'accueil pour migrants, des opposants sont rassemblés contre l'arrivées d'un nouveau bateau. Parmi eux, Chiara qui travaille pour une ONG, l'ex petite amie de Fabio, désormais en couple avec un Ale, un gendarme qui lui aussi se trouve sur le terrain ce matin, mais du côté du maintien de l'ordre. Dans le quartier aux grands immeubles, à l'heure du diner avec la télévision allumée, les conversations s'animent devant les actualités qui se succèdent, la collision des priorités, l'usine pour les uns, les migrants pour les autres. Tandis que Mirco, un ouvrier de l'usine, tente de faire publier sa première bande-dessinée. Comme beaucoup d'ouvriers, il ne considère plus que son statut est une fin en soi. Il ne ressent pas la fierté des ouvriers d'antan, ceux qui étaient regardés avec respect quand ils revenaient du travail.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec une galerie de personnages tous différents et des enjeux très actuels, comme la désindustrialisation ou les migrants qui arrivent sur les côtes italienne, Emiliano Pagani réussit une formidable chronique de notre époque, partagée entre des enjeux collectifs et un individualisme qui semble devoir toujours prendre le dessus. Hannibal, Ale, Chiara, tous ont leur fragilité et leur dignité, chacun selon des angles différents. Les confrontations qui en résultent sont d'une justesse épatante. Après quelques pages d'intro et un décor planté, le retour des protagonistes dans la cuisine de leur appartement donne à l'album une dimension étonnante, profondément sociale, complexe lorsque les contradictions touchent chacun d'eux. Au milieu de tout ça, les pages de l'album de BD que Mirco est en train de créer agissent comme une métaphore dont la puissance se précise tout au long de l'album. Sur le plan narratif, c'est absolument brillant. Chaque montée de tension est construite et mise en scène sans effet de manche, mais avec une technique redoutable, comme les quelques pages de duos entre Chiara et son copain, Fabio et son père, qui finissent par se retrouver tous les deux sur la dalle entre leurs deux immeubles. De son côté, Vincenzo Bizzarri confirme son talent déjà évident dans Les Assiégés. Il rend chaque visage et chaque lieu totalement crédibles, fait une démonstration de la richesse de son style avec les pages de la BD dans la BD dont es visuels sont impressionnants. Un one-shot remarquable par deux auteurs extrêmement prometteurs.