L'histoire :
Que va-t-on chercher lorsque l’on part en week-end à Amsterdam ? Visite touristique ? Psychédélique ? Fantasmatique ? Les raisons qui mènent Syd et Roger dans la capitale hollandaise sont un peu de tout ça et plus encore. Un pack de bière à la main, en T-shirt et sans bagage : « c’est plus pratique, on garde les mains pour une canette », ils filent dès leur arrivée au bord du fleuve, qui a vu quelques mois auparavant mourir Larry, le frère de Syd. Quelques paroles dures, brutales, puis les deux supporters anglais fuient leurs démons et partent goûter aux saveurs de la ville en attendant le match de football qui doit se disputer le soir. Une déambulation au cœur de la cité, de ses silences et ses vices, des noirceurs.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
La perte : thème central de ce premier album (traduit en français) de Guido Van Driel. Dès les premières pages, l’auteur hollandais nous lance une perche programmatique : les deux visiteurs, fraîchement arrivés dans un pays étranger, sont perdus dans une ville en chantier. Probable métaphore d’un état intérieur d’un des protagonistes, que le fil narratif va nous inviter à découvrir : Syd vient de perdre son frère, mort dans des circonstances inconnues, envers qui il manifeste une colère hargneuse. Il semble désireux de fuir ce deuil dans la chair, l’alcool et les drogues hollandaises. Mais peu à peu, l’intérêt de ces faux-semblants est surpassé par la nécessité du calme et du retour sur les pas de Larry. Sortir de l’agitation urbaine, retrouver les empreintes d’une mémoire et les repères d’une douleur. Roger, quant à lui, laisse délibérément sa conscience se perdre dans l’effet de psychotropes, et devient pénis ambulant grâce à la tête de gland achetée dans un sex-shop. Une errance dans la ville jalonnée d’incidents, comme les annonces silencieuses d’une plus grande violence à venir ; comme si le parcours était bien malgré lui déjà tracé. Perte également dans notre expérience de lecteur : embardées confuses dans la mémoire des personnages, irruption d’un personnage nouveau dont on interroge la place dans un récit devenu choral. Des silences, des troubles, qui se comblent ou se résolvent peu à peu. Car si Van Driel nous désoriente, c’est également pour maîtriser notre itinéraire. Le noir et blanc très pictural des images est marqué par la présence de formes géométriques colorées (rectangles, lignes...) rehaussant certains éléments du décor, qui se transforment dès lors en signes aussi scénographiques que narratifs. Notre œil est invité à arpenter les planches et est entrainé vers les profondeurs de l’image, vers la ville et ses compositions, ses ambiances, ses habitants, et ses touristes. Comme Syd et Roger, nous devenons, nous aussi Visiteurs : d’Amsterdam, de l’intériorité des personnages, d’une violence généralisée, de cette œuvre magnifique. Autant d’espaces auxquels on reste, toujours, malgré tout, un peu étrangers.