L'histoire :
A la piscine, quatre mecs-crocodiles un peu excités matent deux filles normales qui vont se baigner. L’un s’approche en nageant, avec juste les yeux qui dépassent de la surface… et sous l’eau, il exhibe son sexe en érection. L’une des deux filles voit ce manège sous l'eau, avec ses lunettes de plongée… et c’était évidemment voulu. Dans ces conditions, les filles préfèrent s’en aller. Elles se changent dans la même cabine, parce qu’elles ont un peu peur. Elles ont raison : les mecs-crocodiles les ont suivies et les regardent par-dessus la cloison. Paniquée, l’une a le réflexe de crier : « Papa ! ». Les mecs-crocodiles se sauvent aussitôt en courant.
Dans une librairie, un mec-crocodile aborde une jeune femme pour lui poser une curieuse question en joignant le geste à la parole : à son avis, quelle taille fait la distance séparant ses deux mains disposées en parallèle. La fille répond vaguement 10 cm… Le mec-crocodile s’insurge : mais non, ça n’est pas 10 cm ! La fille se rend compte que le sexe du mec-crocodile fait cette distance et dépasse à dessein de sa braguette…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En pages intérieures, une baseline annonce d’emblée la couleur (verte) : Les crocodiles est un « recueil de témoignages sur le harcèlement et le sexisme ordinaire ». Inspiré par Femmes de la rue, le documentaire de fin d’études de Sofie Peeters (étudiante bruxelloise à la Haute école Rits, 2012), Thomas Mathieu a cumulé et compilé dans cet épais volume moult histoires vécues, qui frôlent ou sombrent dans le registre sordide des abus machistes et phallocrates. La problématique est vieille comme le monde – et elle prend actuellement des proportions hallucinantes dans certaines cultures, comme l’Inde. Elle n’en demeure pas moins honteuse. Dans ce sens, le parti-pris graphique de l’auteur est pertinent : les femmes sont ici dessinées au crayon, en noir et blanc (normal, quoi), sans grande prétention artistique, tandis que les hommes harceleurs sont tous des crocodiles colorés en aplat vert fluo. Et c’est un principe systématique et caricatural : dans cet album, les hommes sont tous des prédateurs sexuels. Mains au cul, réflexions, voyeurisme, comportements déviants, détraqués sexuels… Passé une quinzaine de page, on a compris… or cela dure 174 pages. Certains traduiront cette démarche par une déclaration de guerre des sexes, que quelques arguments annexes tentent finalement de désamorcer… en vain. Car la fin du volume se fait didactique, proposant des solutions de bon sens, des analyses sociétales et… un long décryptage des intentions. Entre autre, on apprend que « les mecs biens ça n’existe pas ». Et s’insurger contre cette affirmation prouverait justement qu’on n’est pas un mec bien… C’est aussi naïf que c’est c’ti qu’y dit qu’y est. C’est bancal et c’est trop tard. En postface, Thomas Mathieu reconnait aussi volontiers que ses récits manquent de diversité. C’est hélas le cas de ce type de comportements : tristement banals, mus par une pulsion primaire et quasi toujours dans le même sens hommes -> femmes. Bref, mis à part le besoin de discrimination positive, on peut surtout se demander pourquoi n’avoir pas fait plus court. Cet ouvrage montre donc une vocation louable et une pédagogie nécessaire… dommage qu’il stigmatise aussi violemment la gente masculine.