L'histoire :
Denain, Nord de la France. Dans les années 70, la ville ouvrière comptait plus de 30 000 habitants, alors à l'apogée de son histoire. Usinor, comme auparavant les mines, apportait du travail. On y produisait 10% de l'acier français. Bernadette, 80 ans, raconte ce glorieux passé en évoquant l'atmosphère festive qui régnait, entre les bals populaires et dancings, les vacances dans le Pays Basque grâce au comité d'entreprise d'Usinor... Bernard et Jean-Marie, retraités racontent leur carrière bercée par une folle insouciance. Cette période prit fin en décembre 1978, après l'annonce de la suppression de postes. Le début de la fin. S'ensuivent des manifestations d'envergure, des affrontements avec les CRS... Aujourd'hui, de l'énorme complexe Usinor, il ne reste rien. Tout a subi les affres de la mondialisation, avec une délocalisation de la production. Et la ville de Denain, ce sont des vies cassées. Il y a Loïc qui, avec son CAP de cuisine, gagne péniblement 810 Euros net par mois. Il doit parcourir chaque jour 30 km pour aller travailler. Il rentre en train chaque week-ends. Il vient de lâcher son emploi, alors que ses heures supplémentaires ne sont pas payées. Il y a Guillaume et Aline, qui vivent du RSA avec 1 100 Euros net à deux pour élever leurs deux filles...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
« Prends garde, sous mon sein la grenade, sous mon sein là regarde...» chante Clara Luciani. C'est un peu ce que l'on ressent en se plongeant dans la lecture des Racines de la colère, qui détourne le titre du roman de John Steinbeck, Les raisins de la colère. Prix Pulitzer en 1940, le livre racontait l'histoire d'une famille qui quittait la misère de l'Oklahoma pour la Terre Promise californienne, en pleine période de récession économique, post-1929. A l'heure de la mondialisation, même si depuis 2015, la démondialisation s'opère, cette histoire prend tout son sens et montre que l'économie doit être sociale et s'inscrire dans le réel. Mais aujourd'hui, c'est une population totalement déshumanisée sans avenir, ni espoir. Vincent Jarousseau livre un portrait sans concession d'une France à la dérive. Après quelques planches de bande dessinée, place à un roman-photo comme pour mieux coller à la réalité d'un terrain, avec des mots dans les bulles qui sont ceux de ces français laissés à l'abandon. A Denain, des trois cinémas, deux librairies et du centre-ville animé, il ne reste plus rien... sauf un stand de tir ambulant. Cette France devient alors la proie à l'extrémisme avec le Front National, devenu Rassemblement qui fait un carton plein aux élections. Ce documentaire n'y va pas de main-morte pour décrire un quotidien de familles qui souffrent. Passé inaperçu du traditionnel public BD lors de sa sortie, Les Racines de la Colère a obtenu le 26ème Prix France Info de la bande dessinée d'actualité et de reportage.