L'histoire :
Béatrice travaille à la boutique des gants pour dames, au sein d’un grand magasin. Chaque jour, cette célibataire discrète et rêveuse s’engouffre avec des milliers d’autres travailleurs dans la routine du quotidien. Elle se laisse porter par le flot humain qui la pousse jusqu’à la gare parisienne, le quai, le wagon où elle s’entasse. Pour passer le temps du trajet, elle lit. Puis à l’arrivée, elle passe par la porte des livraisons des Galeries la Brouette, passe au vestiaire où tout le monde enfile sa blouse rouge, monte dans l’ascenseur avec ses collègues, et rejoint son poste. Elle vérifie le fond de caisse, replace quelques tarifs dérangés, brosse un vêtement, en attentant que les grilles se lèvent et laissent pénétrer le public. Une faste journée commerciale s’enchaîne alors. Le soir venu, Béatrice fait le trajet en sens inverse. Ascenseur, porte de service, procession jusqu’à la gare, lecture dans le train, retour à la grande gare parisienne. Ce soir-là, elle remarque de nouveau un sac rouge posé contre un pilier de la gare, un sac qui l’avait déjà intriguée le matin même. Si le lendemain le sac est toujours abandonné là, elle le prendra et regardera ce qui se trouve dedans…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Joris Mertens livre ici un conte moderne muet, qui fait la part-belle aux grands magasins parisiens et aux années folles. L’intrigue au présent prend pour contexte la fin des 30 glorieuses, époque encore bénie de consumérisme débridé et insouciant. Son héroïne est du genre timide et très seule et la découverte d’un album photo dans un sac abandonné va lui ouvrir la voie d’une vie parallèle fantasmée et romantique dans les années 30. Le train-train de vie de Béatrice manque sûrement d’aventure et la pousse à se confondre avec la femme alter-ego du recueil de photos… et à tomber amoureux de l’homme qui l’accompagne. Une confusion totale se crée alors entre les deux personnages, au point de faire basculer Béatrice à l’époque de l’entre-deux-guerres. Le propos onirique est volontairement laissé un peu flou… il est avant tout un prétexte au déroulé d’un dessin étonnant. Mertens utilise de grandes cases, très souvent pleines pages, pour mettre en scène la vie parisienne florissante, les grands magasins. Dans le détail, son trait est très rough, dans des teintes monochromes grises d’où se distingue juste la couleur rouge (le manteau de Béatrice, le sac, les gants…). Mais à la manière d’un impressionnisme réinventé, dans l’ensemble, les compositions sont incroyablement justes, vivantes, lumineuses, romantiques… Elles révèlent une surprenante sensibilité artistique pour les grands magasins, les toits parisiens, les cages d’escaliers, les gares parisiennes, l’art déco, l’âge d’or hollywoodien… Etonnant !