L'histoire :
Dans une ville futuriste où certains véhicules peuvent voler, le costaud Kiké Tetamanti est déménageur. Avec son frère Toti, inversement galbé, ils chargent une armoire normande via une planche en bois depuis le balcon d’un immeuble jusque dans leur camion en stationnement lévitationaire. Puis le vieux procureur Narciso Iturralde suit à quatre pattes, en passant par la même passerelle précaire. Le vertige le rend fébrile… Une fois à bord, ils prennent la direction du Cosmoport, car le procureur bénéficie d’un privilège d’Etat qu’il ne peut refuser : un billet en aller simple pour Luna Europa, une planète sur laquelle il fait clairement mieux vivre que sur la Terre polluée, surpeuplée et miséreuse. Grace à la notoriété du procureur, ils passent la douane sans souci et garent leur camion sur un quai de chargement. Kiké se fait alors escroquer par le responsable du dock corrompu. Il doit désormais payer 10 000 pesos au lieu des 4 000 pour le formulaire Orbital 301. Or le vieux procureur n’est pas prêt à assumer cette rallonge. Après s’être libérés de cette mission foireuse, Kiké et Toti rentrent chez eux dégoûtés. C’est repas de famille, avec leur grande fille Brenda qui rentre d’un séjour à Paris. Moderne, svelte, vêtue à la mode, Brenda leur présente son futur mari, Pilo, bien plus vieux qu’elle, mais riche. Elle leur annonce la pire nouvelle qui soit pour Kiké : ils ont décidé de déménager sur Luna Europa…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Les mésaventures familiales de Kiké, déménageur aussi bedonnant et musclé dans ses bras que dans sa tête, sont clairement truculentes. Comme dans Brazil, elles prennent pour contexte une civilisation future extrapolée des aspects les plus ternes de notre présent, avec une naïveté assumée et bienvenue. C’est-à-dire qu’à cette époque sans date déterminée, l’Homme a tout de même colonisé Europa, la lune de Jupiter, de sorte qu’elle soit plus accueillante que la Terre… mais il porte toujours des claquettes aux pieds et se déplace dans des camions des années 80. Cette vision du futur a beau être saumâtre – surpeuplé, pollué, ultra-urbanisé, corrodé par la corruption, la précarité extrême et le terrorisme à tout crin – le ton reste toujours léger et bon enfant. Comme si les coups du sort qui s’abattent successivement sur Kiké et ruinent sa famille n’avaient finalement guère d’importance. Le scénario de l’argentin Diego Agrimbau convoque ainsi tout à la fois l’allégorie pessimiste et le Vaudeville. Les deux propos prennent autant de place, se complètent et se soulagent. C’est rythmé, drôle, sensé, savoureusement dessiné par le compère Gabriel Ippoliti, dans un registre réaliste et détaillé, fourmillant de détails dans les décors de ce demain fantasmé. Cette histoire visiblement exhumée des espagnoles éditions Planeta Deagostini (parue là-bas en 2009) nous donne surtout à voir que si les technologies progressent, les mentalités humaines stagnent. L’homme reste égoïste, cupide, nigaud et toujours prêt à escroquer son prochain. Chouette, vivement demain…