L'histoire :
La ville et ses édifices colossaux chatouillent l’azur tacheté de nuages blancs. Ses immeubles quadrillés par des lucarnes vitrées, lorsqu’elles s’ouvrent, laissent échapper parfois d’intrigantes conversations. Ainsi, l’un parle de trahison, interroge sur la manière dont l’autre s’y prendra pour qu’elle ne souffre pas trop : c’est sa femme, tout de même, dont il s’agit. Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’à quelques distances, derrière d’autres fenêtres, d’autres, des inspecteurs de police, ne perdent pas un mot de cette préparation. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces deux là sont bien embêtés : ils espionnent, certes, mais ils ne s’attendaient pas à ce que ce soit un futur assassinat qui leur soit révélé. Car à vrai dire, Georg W. Ashry, le mari trompé est peut-être bien le cerveau des attentats qui embrasent la ville depuis quelques semaines. Les deux flics en planque ont d’abord pour mission d’obtenir des renseignements sur son prochain coup, pour le prendre en flagrant délit : qu’il ait prévu de faire tuer sa femme est une affaire qui attendra…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Tel Jeffries, le héros momentanément handicapé de Fenêtre sur cour, Greg Shaw nous propose de jouer les voyeurs statiques pour assister à l’intrigant ballet d’une poignée de citadins, derrière le rideau des vitres de la cité. Pour ce faire, le malicieux dessinateur joue de ses pinceaux-caméra pour zoomer à l’excès sur une partie de la ville (une nouvelle New York, peut-être, avec cette statue de la liberté relookée) : de son ciel bleu tacheté, aux lucarnes des buildings, en passant par son musée d’art abstrait, sa piscine design, son pont rougeoyant et son quai encrassé, c’est le plan fixe de la couverture qui se décline à volonté, grâce à se subtil va et vient. Bien nous fasse, cependant. Car derrière cette délicieuse trouvaille qui fait briller bien fort le blason du 9e art, il y a une véritable petite histoire : une intrigue mettant en scène un mari comploteur, une femme volage, un copain coucuffiant, un tueur à gage et des flics pas très malins. Tout ce petit monde s’ébat avec beaucoup de vigueur, à quelques distances, sortant régulièrement de notre champ de vision et le retrouvant quelques zooms plus tard, nous donnant le vertige en une succession de plans fixes au sein desquels on se laisse habilement happer. Peu de mots, surtout des images et des cadres servis en bloc par page (le nombre vari en fonction du travelling opéré), mais une grande fluidité narrative, nous conduisent à travers un récit mêlant suspens, clins d’œil et ironie. Un album riche, d’abord, grâce au soin apporté à sa composition graphique, mais intelligemment soutenu par l’envie de raconter : imaginer ce qui se passe derrière les vitres de ces colosses de bétons, n’en aviez-vous, vous-même, jamais eu envie, en observant la ville de loin ?