L'histoire :
Un chariot à pédales, mené par trois cyclistes et un vieux barreur, transporte la famille Wise à Falter City, la nouvelle Mecque où il fait bon se diriger. Une algue miraculeuse est en effet exploitée dans les marais boueux entourant cette citée rêvée, et chacun pense y faire fortune. Lippy, Penn et leur mère sont spécialisés dans la fermentation et le yaourt et comptent bien installer leur commerce afin de prospérer. Malheureusement, les choix qu'ils font au moment de débarquer du bateau qui les dépose à Falter, parmi des dizaines d'autres migrants, vont agencer dramatiquement leur destin et chambouler leurs plans tout tracés.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
200 pages couleur ! C'est le résultat du travail laborieux mené sous formes d'épisodes sur son site internet (The Grot) depuis 7 ans par cet auteur alternatif, révélé avec l'album très étrange Blue en 2012. Le genre de nouveauté bien intrigante, qui attise la curiosité lorsqu'on découvre sa couverture pour la première fois. Autant dire que l'on ne voit pas ce genre de comics alternatif à tous les coins de rue, même en 2020. Aussi, on ne boude pas son plaisir de plonger dans un tel récit, une fois que l'on a laissé de côté le réflexe de vouloir trouver éventuellement un dessin «au trait». Ici, c'est Comics on line, messieurs dames, ou esprit fanzine si vous préférez, et l'aspect cartoony, mixé à cette «sale» outrance, convient parfaitement au propos. La déglingue commence dès les premières pages, et cette histoire d'univers désertique, post apocalyptique et de ruée vers la boue, telle le Go West du XIXe siècle, donne le La. Cette procession de chariots de bric et de broc, un peu Steam punk, évoluant dans les deux sens, vers ce soit disant Eldorado, permet de faire la connaissance des protagonistes principaux, qui seront rejoints ensuite par d'autres, une fois arrivés à destination. Lippy est un gamin à sa maman, un peu merdeux, couvé par une mère entrepreneuse, bien décidée à en faire son héritier. Penn, un peu plus âgé, mais plus bordélique, désire dévorer la vie à pleines dents. Tous les trois vont découvrir le «nouveau monde» de trois manières différentes, et réaliser que la vie, avec toutes ses difficultés, ses challenges à relever, n'attend pas les explorateurs, mêmes les plus motivés. Elle donne, elle prend...et ce sont sans doute ceux étant le plus organisés qui s'en sortiront. Une fable sociale à l'ancienne, dans la tradition des romans classiques tels ceux de Mark Twain, contenant néanmoins une vision et une critique acerbes de notre époque, où les pauvres, toujours plus pauvres, n'ont presque que l'argent comme guide et repère. Heureusement, Pat Grant, grâce à son dessin souple et caricatural, qui pourrait être vu chez nous dans une revue telle que Fluide glacial, maniant l'humour et l'ironie à la perfection, détend l'atmosphère et permet de rire de tout cela. La marque des grands, tels certains de ses collègues cartoonists : Peter Bagge, Derf Backderf, ou Noah Van Sciver. Son pote Fionn Mc Cabe assure la colorisation, couleur directe aquarellée à l'appui, juste équilibrée et nuancée ce qu'il faut. Vive l'underground !