L'histoire :
Jin-A, dont le père vient de décéder, a une vingtaine d'années. Elle multiplie les emplois, de femme de ménage le jour, et de taxi la nuit, alors qu'elle doit aussi financer les études de sa plus jeune sœur. Su-Jin, quant à elle, est une quadragénaire veuve et mère d'un jeune homme en passe de se mettre en couple avec une femme enceinte. Suite à un examen médical, elle apprend qu'elle est enceinte elle-même d'une relation sans lendemain avec le client du restaurant karaoké où elle travaille avec sa sœur. Ces deux destins vont se croiser fortuitement.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Une couverture au design élégant, un dessin intérieur rigoureux plutôt réaliste, parsemé de fines hachures, coloré en bichromie, des tons vers gris (pour les chapitres de Su-Jin) ou brun vert (Jin-A), dans un découpage au gaufrier assez académique : voilà ce qui interpelle en premier lieu. L'histoire double, tel un film d'art et d'essai coréen, nous emmène doucement, mais dans une sourde angoisse, vers un dénouement, dans une ambiance proposant souvent des décors sombres : routes de nuit, appartements faiblement éclairés, sous-sol... Le seul moment s'éclairant quelque peu étant une randonnée en montagne, dans une journée néanmoins teintée de mystère, s’avérant au final n'être qu'un rêve. Les personnages, de deux générations différentes principalement, sont attachants, très réalistement décrits, et les dialogues, tout aussi réalistes, impressionnent par leur véracité, leur pertinence. Les auteurs et les traducteurs retranscrivent avec finesse une culture sociétale peu connue par chez nous et abordent des sujets difficiles. Comme la relation de couples non mariés ayant dépassé la quarantaine ; ou la difficulté pour un plus jeune de débuter une vie à deux avec une différence d'âge, dans une société traditionnelle aux codes stricts évoluant lentement. Au fil du partage de la vie et des angoisses, du quotidien et des questionnements de deux femmes confrontées à leur entourage, on se surprend en tant que lecteur à apprécier ce rôle de quasi « voyeur ». Lee Dong-Eun (scénariste) et Jeong Yi-Yong (dessinateur), respectivement nés en 1978 à Busan et 1983 à Séoul, ont publié ensemble leur premier Manwha : Changement de saison en 2013 (chez Çà et là en 2022), qui a vu une adaptation au cinéma par son scénariste en 2016. Depuis, ils ont collaboré sur trois autres albums. Démontrant une nouvelle fois le talent de conteurs pour adultes de ses auteurs, ce Jin & Jin dévoile aussi un vent de renouveau coréen, que chaque amateur de film de ce pays devrait pouvoir apprécier.