L'histoire :
Un, deux… Quarante, quarante et un, quarante-deux... Lentement. Sûrement. Attentif à la mécanique de ses pas. Il avance et compte au gré d’une énième balade dans sa bonne ville d’Edo. A 50 ans passés, il profite de sa retraite pour humer la ville à pleins poumons. Crayon ; croquis ; schémas ; décompte machinal ; régularité des pas : il veut aussi faire une description la plus précise de l’agencement de la ville, de sa topographie, de ses courbes et ses plans. Et puis il s’arrête. Discute avec un artisan à la faveur d’un ressemelage, observe du pont la colline de Ueno. Et apprend que bientôt, les bourgeons de cerisiers éclateront d’un seul coup pour livrer leur incroyable spectacle. Plus tard, c’est le jeu des gamins dans la rue ou le travail d’un dessinateur au sable qui guident ses pas pour un détour imprévu. Et puis plus haut, au dessus des flots, dans le ciel dégagé, il assiste à la course d’un milan qui subtilise à la barbe et à la ligne d’un pêcheur, un beau poisson. Qu’il envie alors cet animal : pouvoir voler et observer la ville du ciel doit être merveilleux. Alors se met-il à l’imaginer…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après L’homme qui marche, Le gourmet solitaire et Le promeneur, le grand Jirô Taniguchi poursuit son apologie de la promenade et du sens de l’observation, pour une balade « au gré du vent » (c’est le sens de Furari). Cette fois c’est Edo, l’ancien Tokyo au XIXéme siècle, qui sert de terrain de jeu à notre flânerie, avec pour guide un curieux quinqua qui égraine machinalement ses pas, la plupart du temps. On comprendra bien vite que ce sympathique personnage profite de sa retraite pour établir un minutieux plan de sa ville et pourquoi pas de son pays (le décompte des pas étant son principal instrument de mesure…). Il est probable que Jirô Taniguchi rende hommage (sans jamais le nommer) à Tadataka Inô, un célèbre géomètre et cartographe qui a établi la première carte du Japon. Difficile de savoir si l’auteur extrapole, mais en se glissant dans la peau de ce personnage, il en fait quelqu’un d’incroyablement curieux et surtout particulièrement capable de se laisser totalement absorber par le plus infime des détails du monde qui l’entoure. Ainsi, on suit ses déambulations découpées en 15 petits récits, souvent guidées, au départ, par son travail de cartographe, puis que le hasard d’une observation, fortuite ou recherchée, entraine vers de nouvelles rencontres et de sages réflexions. On croise alors insectes, animaux divers, astres, légendes, artistes et poètes pour, peut-être, accompagner cartographe et auteur sur le chemin de la sagesse… A nouveau, ici, la précision du trait de Taniguchi fait mouche : incroyablement fluide, soucieux du détail et capable de relayer une large palette d’émotions. En tous cas particulièrement calibré pour emballer le propos. Néanmoins, l’ensemble devient vite redondant et la trame scénaristique peu épaisse. Plus encore lorsqu’on connait les précédents titres usant de la même mécanique. Car aussi séduisant qu’ait pu être cet exercice contemplatif empreint de philosophie et d’une bonne dose de poésie, lors de nos premières découvertes, il lasse un peu. On attend donc avec impatience un « nouveau » Taniguchi.