L'histoire :
Fils d'un douanier autrichien, Hitler rêve d'une carrière artistique. Médiocre élève, il échoue au concours d'entrée de l'école des beaux-arts de Vienne. Génie incompris ou artiste raté ? Hitler sort frustré de ces années d'errance au cours desquelles il mène une vie de bohème. A cette période, l'Autriche-Hongrie lui apparaît comme l'image même de la décadence, la faute à une société pluriethnique où la « race germanique » serait menacée par le « cosmopolitisme juif ». De là, naît la volonté d'Hitler de créer un Etat germanophone. Puis Hitler le va-t-en guerre s'engage dans la Première Guerre mondiale et en ressort décoré. Remarqué ensuite pour ses dons oratoires, il adhère au petit parti national-socialiste, composé de « petits branquignoles » sans envergure. Vient ensuite, en novembre 1923, le coup d'Etat manqué : voulant profiter de l'agitation suscitée par l'occupation de la Ruhr, Hitler cherche à prendre le pouvoir à Munich. Mais il échoue et se retrouve en prison. Au cours de sa détention, il dicte à Rudolf Hess Mein Kampf, à la fois autobiographie et livre-programme dans lequel il explique ses théories : antisémitisme et ultranationalisme. Hitler nourrit en secret un sentiment de revanche exacerbé. Le 30 janvier 1933 sonne comme son jour de gloire : porté par le succès du parti nazi, il devient chancelier. Ayant rapidement obtenu les pleins pouvoirs, il fait peser sur l'Europe un ordre sanglant... A la fois ridicule et charismatique, caractériel et sûr de lui, paranoïaque et outrancier, narcissique et manipulateur, Hitler le charlatan crie, s'énerve, s'agace, exalte les foules ou électrise le peuple... et finit par basculer dans la folie meurtrière.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Shigeru Mizuki, le célèbre mangaka déjà récompensé à Angoulême pour NonNonBâ (fauve du meilleur album en 2007) et Opération Mort (fauve du Patrimoine en 2009), avait écrit une biographie d'Hitler, publiée pour la première fois en 1972. L'auteur, lui, avait perdu un bras dans la guerre du Pacifique au cours de la Seconde Guerre mondiale, en 1942. Des années plus tard, il a voulu comprendre comment il avait pu en arriver là, guidé par le souci pédagogique d'informer et celui de lutter contre la tentation du révisionnisme, dans un Japon en proie à la résurgence de l'extrême droite. Partant d'une expérience individuelle traumatisante, Mizuki livre ici un vibrant pamphlet anti-guerre, décrit un monde confronté à l'exercice névrotique du pouvoir ou plongé dans la bêtise nationaliste, puis finit par dresser le portrait complexe d'un homme presque ordinaire, rebelle à toute tentative de normalisation. Le mangaka y explore la dimension messianique d'Hitler, sa folie, ses frustrations, et décrit aussi une Allemagne exsangue, en quête d'un homme providentiel capable d'incarner l'unité de la nation. En ressort le portrait d'un homme fin stratège, brillant par son éloquence mais aussi effrayant, fou et même ridicule. Évitant la diabolisation et la caricature pour lui préférer une narration en voix-off distanciée, très documentée mais concise et fluide, entrecoupée de planches fantaisistes façon gravures allégoriques, Mizuki s'attarde sur le parcours du Führer et le confronte aux événements qui ont façonné sa légende. Avec un sens du détail peu commun (voir les postures, la moustache, les vêtements) et un trait réaliste expressionniste s'appuyant sur des images d'archive, tentant aussi d'aller à l'essentiel pour mieux comprendre, Mizuki peint un monde où l'horreur est la seule issue, où les morts sont des victimes expiatoires sacrifiées sur l'autel de la folie meurtrière. Et pose la question dérangeante de l'essence humaine : Hitler était-il un homme ordinaire ou un simple monstre ? Par la portée universelle de son sujet, mais aussi par son ingénieux traitement formel, cette biographie d'Hitler en forme d'objet pédagogique est une autre grande œuvre de Mizuki. A ne pas rater.