L'histoire :
Bruxelles en 1934. Hergé s’apprête à écrire une nouvelle aventure de Tintin qui se passera en Chine : Le lotus bleu. Dans son entourage, plusieurs de ses connaissances s’inquiètent de son travail et craignent que Georges Rémi ne caricature le pays en offrant une vision stéréotypée du monde oriental. Même les gens d’église conseillent la prudence à Hergé sur le traitement de son nouveau sujet. De plus, le journal bruxellois Le Vingtième Siècle est en difficulté et ne tient que par la renommée naissante d’Hergé. Celui-ci a donc beaucoup de pain sur la planche… Heureusement, sa compagne Germaine l’assiste en tout et le conseille régulièrement. Sous l’impulsion de l’abbé Louvain, Hergé et sa compagne font la connaissance d’un couple chinois, Arnold et Suzan. Mais c’est une autre rencontre qui va marquer durablement l’esprit du créateur de Tintin : le jeune sculpteur Tchang. Très vite, les deux hommes deviennent amis et Tchang va littéralement bousculer l’univers d’Hergé. Passionné par la vie et l’art, Tchang montre à son homologue belge toutes les subtilités de la culture chinoise : le majong, l’opium, la calligraphie, le monde des sensations et de la nature… Totalement fasciné par ce jeune poète, Hergé découvre un nouveau monde qu’il va utiliser pour son œuvre. Pour augmenter le réalisme des nouvelles aventures de Tintin, Tchang se propose d’écrire lui-même toutes les lettres chinoises sur des affiches ou des enseignes du décor du Lotus Bleu. Cependant, marqué par la lutte sino-japonaise, Tchang, sous l’impulsion de son ami communiste Tong, fait passer des messages de révolte contre la domination du pays du Soleil Levant…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
On pensait que tout avait été dit ou écrit sur le célèbre papa de Tintin. Pourtant, Laurent Colonnier fait date en publiant une œuvre osée qui va faire polémique : la biographie d’Hergé, en lien avec ce jeune chinois, Tchang. A partir de plusieurs hypothèses connues sur Georges Rémi, l’auteur lui prête en effet une relation homosexuelle ! Tout le monde sait (et beaucoup de psychanalystes l’ont commenté) que Tintin n’a jamais eu de relation avec une femme et n’a même jamais évoqué le beau sexe. De plus, dans une interview dans Apostrophes (que Colonnier restitue dans son ouvrage), Hergé lui-même parle de relation amoureuse avec Tchang, avant de se reprendre et de parler d’amitié forte. Après avoir essuyé une trentaine de refus, Laurent Colonnier parvient enfin à éditer sa biographie particulière grâce à 12 Bis. Pourtant, de prime abord, l’œuvre est loin d’être sulfureuse, bien au contraire. L’auteur offre un témoignage ultra précis et détaillé sur la vie d’Hergé et sur son temps : le Bruxelles des années 30. On y trouve ainsi de nombreuses références artistiques et historiques : la montée du nazisme, l’Exposition Universelle, l’impérialisme japonais, l’arrivée de Mickey Mouse… C’est également une véritable manne culturelle sur l’univers Tintin. Hergé, fortement influencé par ce qu’il voit du monde extérieur, va découvrir de nombreux éléments qui vont l’inspirer pour les prochains albums. A la manière du livre Etes-vous Tintinologue ?, l’auteur multiplie les clins d’œil au lecteur qui reconnaitront aisément (ou pas) certains personnages, thèmes, lieux d’autres albums d’Hergé : on voit ainsi l’agent 212 au détour d’une rue, une dame élégante et farfelue qui ressemble à la Castafiore, une statue Arumbaya dans un magasin… Même si les allusions sont trop nombreuses pour être crédibles, la biographie d’Hergé est également extrêmement réaliste. On y voit ainsi le dessinateur dans son quotidien et son intimité et Colonnier peint à merveille les doutes et zones d’ombre que l’on connaît du personnage. Bien évidemment, le sujet principal reste la relation étonnante entre Tchang et Hergé, relation qui aura marqué durablement le créateur belge et qui aura transformé sa façon de travailler. Il était donc bien légitime que l’auteur en fasse son thème principal. Les critiques auront retenu les scènes où Hergé s’allonge avec son ami, à moitié nu, et où ils se caressent de façon lascive. Pourtant, la polémique est largement exagérée. Le reflet d’une vision de l’homosexualité encore taboue aujourd’hui ? Non seulement l’hypothèse de l’auteur est plausible, mais elle est surtout traitée de façon bien plus fine qu’il n’y paraît. Bien au contraire, le traitement ambigu du sujet est tout en retenue et plein de sensualité et de pudeur. C’est surtout la peinture d’une relation forte et marquante, comme la fin en témoigne d’une façon magnifique. Le dessin, tout en finesse et en douceur, est à l’image de cette biographie faussement polémique. Le tout est à découvrir pour les amateurs d’Hergé, car c’est ici un témoignage précieux sur la vie de l’auteur le plus célèbre (et le plus controversé) du neuvième art.
