L'histoire :
Sur un littoral ensoleillé, Léon Matilo grand-père relate ses souvenirs de jeunesse à son petit-fils. A l’époque de la grande guerre, il est troufion de base. Tapi dans une tranchée boueuse, il verse régulièrement un peu de sa ration de vin dans son casque, afin de rassasier… un hérisson ! Douteuse, cette pratique est sur le point de lui valoir un blâme de son supérieur, le lieutenant Calixte de Prampéand, aristo dans le civil, lorsqu’elle révèle soudain son utilité : le hérisson se planque, ce qui signifie l’imminence d’un bombardement (le rongeur est sensible aux vibrations du sol). L’apocalypse se déchaîne effectivement, faisant tomber nombre de camarades. La tranchée est perdue, c’est la débandade : Matilo et de Prampéand se réfugient dans un trou d’obus du camp adverse, priant pour être épargnés par le déluge de réplique de leurs propres troupes. Prampéand est alors gravement blessé par un éclat, et Matilo passe une nuit entière à le soutenir et le soigner, dans la boue et le feu. Pour le faire tenir, il lui raconte la légende d’Arudj, un esclave marocain devenu un terrible pirate puis un roi. Les deux hommes s’en tirent et une solide amitié nait les jours suivants dans la salle commune d’un hôpital. L’armistice signée, Prampéand retrouve ses affaires à Asnières, sa femme, sa famille et leurs hypocrisies. Matilo retourne quant à lui à sa condition de petit truand mafieux dans le quartier du Panier à Marseille. Pour les deux hommes, le cœur n’y est plus. Matilo se rend alors à la capitale pour proposer à son ami un projet de périple au Maroc, susceptible de leur redonner un peu d’adrénaline…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L’épisode pilote de cette nouvelle série d’aventures historiques s’articule en 3 temps. Tout d’abord, les deux héros scellent leur amitié indéfectible dans l’horreur des tranchées, grâce à… un hérisson alcoolique ! Puis une transition leur permet de constater qu’après avoir tutoyé la mort, la vie civile « normale » ne leur est plus adaptée. Faisant fi de leurs anciens grades, ils concrétisent leur amitié (singulière : un aristo et un corse !) en se lançant dans une aventure des plus hasardeuses ; ses prémices, dans un 3e temps, nous permettent d’en constater les périls. Tout cela est narré de main de maître par Fabien Nury, l’un des meilleurs « raconteurs d’histoires » du moment (avec Vehlmann), épaulé par un nouveau venu dans le paysage, Maurin Defrance. Mais la densité et la profondeur de l’intrigue ne serait rien sans un dessin aux petits oignons. Ce rendu est confié à Merwan (Chabane), un dessinateur qui creuse une veine graphique personnelle originale et très intéressante, secondé par un autre nouveau venu, Fabien Bedouel. Comme on avait déjà pu le constater dans Fausse garde, Merwan montre une grande maîtrise des angles, des profondeurs et des mouvements. Le détail de son coup de crayon détournera peut-être les amateurs de 9e art ultra-réaliste classique ou de « traits propres »… mais il faut admettre qu’il trace un des sillons les plus convaincants de la BD moderne. Enfin, la colorisation de Romain Trystram (un 3e nouveau venu…) s’appuie sur des aplats de couleurs eux aussi d’une belle modernité, qui conviennent aux masses d’encrages noirs du dessin. Ce premier tome impose d’emblée une grande saga historique, moderne, épique et trépidante, doublée d’une formidable histoire d’amitié. Encore une bonne surprise issue de chez 12bis…