L'histoire :
Mancionni vient de sortir de taule. Il applique aussitôt le plan qu'il ressasse dans sa tête depuis des mois. Il se rend par navette dans une petite ville côtière. Il profite un temps de l'immensité du paysage en regardant l'horizon depuis le ponton, en marchant sur le sable, en fumant cigarette sur cigarette. Cette liberté à un goût amer. Puis il part en ville. Il reste au bar de l'estuaire pendant deux plombes, à se saouler dans l'indifférence générale, pour se donner du courage. Quand il en ressort, il marche cependant bien droit, d'un pas décidé. Il va jusqu'à sa maison d'enfance, devenue un squat insalubre pour junkies. Les vitres sont brisées, des traces de merde souillent les murs. Un clodo vautré là le reconnaît vaguement. Mancionni poursuit son objectif. Dans le cabanon en ruine au fond du jardin, il retrouve la boîte Mickey qu'il avait jadis planquée, sous une latte. Dedans, un flingue. L'arme en poche, il va sonner à la porte de son ancien pote Freddy. Un gamin de 4 ans lui ouvre. Ce gamin a les yeux de Marie. Ah, Marie... Derrière le gamin, apparait Freddy, aussi paniqué que désolé. Mancionni commence à le tabasser avec la crosse de son flingue, sous les yeux du gamin...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Peut-être avez vous lu ces chroniques à la tonalité désespérée et noire, a priori indépendantes, dans la revue périodique Aaarg!. Nées dans l'urgence, pour combler un vide, sous l'impulsion du rédac chef Pierrick Starsky mué en scénariste pour l'occasion, elles ont toutefois pris une réelle dimension sociale, crûment désespérée. En 5-6 pages, un protagoniste est mis en scène dans ses pensées du moment, en forme de bilan, un quotidien sans lendemain et sans perspective réjouissante. A chaque fois, le même procédé narratif : une voix off très littéraire et cathartique retrace les pensées intérieures de ces protagonistes sans charisme, aux destins cabossés, dotés d'objectifs de vie ordinaires et/ou sordides. Ces intériorisations sont cependant illustrées par une mise en scène particulièrement réaliste, soignée et détaillée, dans le cadre d'un patelin côtier contemporain et hors saison. Signé Rica, ce dessin encré de haute volée aurait pu (aurait du ?) demeurer en noir et blanc, si le contexte économique du neuvième art n'avait été aussi compliqué. A priori, la colorisation simple et adaptée par Guillaume Tocco permettrait de mieux vendre... Bref, une fois réunis dans ce recueil, ces parcours indépendants se rejoignent en un récit chorale qui prend un sens nouveau. Malgré les nombreuses zones d'ombre demeurant, on découvre désormais que ces destins se complètent et participent d'une même composition globale, dont nous tairons la finalité. Pour un projet né dans l'urgence, c'est plutôt habile et cela révèle une certaine maîtrise séquentielle, quand bien même le strict procédé de la voix off cède à la facilité. Cela permet surtout de souligner une fois de plus, s'il en était besoin, les talents graphiques de Rica. Un artiste à suivre, véritablement...