L'histoire :
Avant de mourir, un architecte polonais a fait construire, dans une banlieue bourgeoise de la région parisienne, une maison moderne, dotée de grandes baies vitrées, pour y loger toute sa famille. Pas fana du béton, prodigue en surfaces vitrées, il était persuadé que la lumière du jour a quelque chose à voir avec le bonheur. Il a aussi fait 6 enfants à sa femme, d’origine algérienne, qui sort tout juste de la maternité avec la petite dernière, Louise. Avec une telle famille, la mère a besoin d’une baby-sitter pour l’épauler… mais les finances sont rudes. Durant 7 années, à force de système D, elle parvient tout de même à maintenir tout le monde dans cette maison. Puis en 1990, elle doit subitement retourner au pays pour s’occuper de ses parents mourants. Elle y restera 7 ans… 7 ans durant lesquels les enfants sont livrés à eux-mêmes. Parmi les plus vieux, Margot (typée arabe, cheveux crépus) et Zinédine (typé polonais, cheveux blonds) apprennent par la force des choses le sens des responsabilités… et de la débrouille. L’ainé Gilles (typée arabe, cheveux rasés), un taiseux, a tendance à fuir la famille. Il se réfugie dans les joggings, puis auprès d’une « autre communauté ». Mourad (typée arabe, cheveux crépus) organise des petits trafics, Abdallah (typé polonais, cheveux blonds) fantasme sur sa cousine Rachida, et Louise vit dans ses rêves…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Longtemps avant d’écrire le polar Trait Bleu (à fort succès critique et public), le scénariste Jacques Bablon avait scénarisé chez Casterman (A suivre) une trilogie policière hard-boiled sous le pseudo de Violeff (dans les années 80). Bien loin de ce registre, il scénarise ici pour Edith Chambon une curieuse chronique familiale brouillant tous les codes sur l’éducation et les liens fraternels. Chambon persiste donc dans un domaine qu’elle maîtrise, elle qui a dessiné pour Gép et les éditions Mouck des chroniques sociales cernant les comportements des djeunz dans notre époque. Le one-shot de la scène BD « indé » qui résulte de leur association n’est pourtant pas toujours facile à appréhender. La narration se permet des ellipses de longueurs inégales, les membres de la fratrie n’ont pas toujours des traits de visages qui les distinguent les uns des autres, le découpage des cases et l’enchainement séquentiel se moquent des codes standards de la BD… Sans oublier le dessin au style original, entièrement réalisé aux feutres de couleurs et quelques traits noirs fins, se détachant sur un blanc de page omniprésent. La technique graphique, le choix de narration distanciée et morcelée, ainsi que le rythme des séquences produites, se montrent toutefois intéressants, pour qui cherche la nouveauté en matière de 9ème art et fait l’effort de la concentration nécessaire. A force d’aller-retours, on finit par correctement composer ce qu’il se passe au fil du temps dans cette famille non-conventionnelle. Car si les 6 enfants ont certes les deux mêmes parents, cette famille brouille tous les préconçus : la moitié a un morphotype arabe, l’autre polonais. Les 6 enfants ont des personnalités différentes auxquelles on s’attache, donc, différemment – à l’exception de Gilles, qui semble bien candidater au djihad… bien que son cas reste flou à dessein et que l’époque du livre s’achève en 1996. Leurs particularités individuelles et leur vie de bohème leur vaut logiquement d’être stigmatisés et haïs par le voisinage. L’écho logique du racisme inhérent à notre époque ? L’organisation familiale et l’auto-éducation qui en découle sont assurément les premiers propos de fond de ce one-shot à la marge, dont chacun retirera les enseignements qu’il veut…