L'histoire :
Arthur grandit isolé avec son père, apparemment atteint d'une pathologie psychologique. Ce dernier va rentrer dans une phase de repos, qui ne sera stoppée que par la présentation de dessins de son fils, qui vont le réveiller, l'interpeller. La lecture fantasmée qu'il va en faire va se traduire par une éducation décalée, paranoïaque, et un entraînement hallucinant et disproportionné de leurs deux corps et psychismes. Lentement mais sûrement, ce père va amener Arthur à vivre dans un monde parallèle, où seul compte la maîtrise de son corps et de ses pensée. Pour cela, tout est matière à inventions, de lieux magiques ou dangereux, de personnages héroïques ou de méchants, comme dans un conte pour enfants. Et bien qu'Arthur continue à aller à l'école (primaire), son entourage commence à s’inquiéter pour lui, tandis qu’il parvient à influencer un groupe d'élèves et à s'en faire des alliés. Le jour où son père quitte la maison pour une « dangereuse mission », Arthur doit apprendre à vivre seul et à affronter l’extérieur...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
« Avant, j'étais faible (…) » C’est ainsi, sur l'image d'une échographie d'enfant, que débute cette histoire. Puis immédiatement après, page tournée, l'explosion de couleurs s'impose, dans une violence signifiée par la représentation d'outils chirurgicaux tranchants. La vie sera dure et sans défense, sans raison – se remémore Arthur - il ne pouvait lutter contre l'extérieur. Brecht Evens, publié par Actes Sud depuis son premier projet de fin d'études de l'école de St Luc en 2010, a depuis confirmé son talent et son statut bien à part dans le domaine de l'illustration et la bande dessinée. Trois autres romans graphiques ont suivi. L'avant dernier, les Rigoles, a obtenu en 2019 le Fauve prix spécial du jury au festival d'Angoulême. On est encore époustouflé, ahuri, par la beauté de ses planches aux couleurs omniprésentes. Il faut dire que l'auteur ne se sert d'aucun encrage, et que seules ses couleurs au pinceau tracent les formes délimitant chaque corps, chaque objet, chaque paysage. La répartition de celles-ci est maîtrisée, au point où l'on s'arrête quasi systématiquement pour admirer l'équilibre de chaque page, la répartition harmonieuse des jaunes, des bleus, des magentas, des verts... Les dialogues, sans bulles, écrits à la main directement sur le blanc de la page, évoluent sous forme d'une typographie douce, elle aussi de différentes couleurs, selon les personnages et les moments concernés. L'inventivité et l'originalité sont les maîtres mots de ce roman graphique. Le scénario, on imagine sans doute issu de quelques événements autobiographiques, nous emmène cela dit très loin dans la thématique de la paranoïa et des dérives sectaires, tout en accordant une place privilégiée au rapport père-fils. Cela pourra rappeler le Sukkwan Island de David Vann. On termine ce premier tome dans un suspens et un aspect conte encore plus fort qu'au début, n'ayant qu'une hâte : connaître la suite.