L'histoire :
Été 2019, Dav Guedin reçoit un appel de sa mère. Peu de temps avant, elle a eu la visite d'un ancien, prénommé Jacques, qui s'est présenté à elle en lui disant qu'il avait été accueilli à la ferme de ses parents, lors de la Seconde Guerre Mondiale. Le vieillard a une gouaille pas possible. A 90 ans, Jacques a été ravi de faire un petit apéro et de ramasser au passage le 06 de la voisine ! Il a tenu à revenir sur les lieux de son enfance, la ferme des Boulais, où il avait été recueilli pendant la Guerre. Il a même laissé un exemplaire de ses souvenirs de cette période. La mère de Dav est convaincue qu'il sera passionné par le récits des souvenirs de Jacques ! Elle ne se trompe pas puisque, en commençant sa lecture, Dav est immédiatement emporté par le récit. Il a trop envie de raconter trop de choses : l'Occupation, la vie à la campagne à cette époque, le regard de ce petit citadin arraché à Paris sur son nouvel environnement, le débarquement, la Libération. Mais surtout sa grand-mère Aberte, qu'il appelait sa « Chérie d'Amour» ...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ça fait un moment que Dav Guedin roule sa bosse en indépendant. Tout d'abord influencé par un mouvement Punk qu'il ne reniera jamais, il a vite su ne pas se laisser enfermer dans ce qui aurait pu être un carcan. Capable de se dédier à plusieurs arts, il a choisi la BD pour ce qu'elle a de mieux : être le moyen de raconter des histoires. Et avec ce Guedin-là, c'est toujours ce qu'il y a d'humain qui est au centre de ses récits. Bien sûr, il a pu écorcher quelques âmes sensibles au moyen d'un humour décapant et d'un dessin parfois hardcore (Mifa avec son frère Gnot et Craoman, Confessions d'un puceau ou encore le délirant Bonhommes), mais inversement, il peut vous embarquer dans des récits extrêmement touchants avec une recette dont il a le secret : la sincérité du propos et quelque chose qui laisse clairement apparaitre une part de sa capacité à se tourner vers l'Autre. On se souvient de Colo-Bray Dunes 1999, une des plus belle BD qu'on ait lue au sujet du handicap. Plus récemment, Une vie d'Huissier, également chez Acte Sud, rendait hommage à un oncle décédé. C'est désormais une évidence, le thème de l'enfance indémêlable à celui de la famille, lui est cher, car il est une nouvelle fois au cœur de Moisson 44. Avec ce témoignage de souvenirs d'un môme déraciné qui est accueilli par une famille qui n'est pas la sienne, en pleine campagne Normande alors qu'il vient de Paris, durant l'Occupation, l'auteur nous amène, sans jamais qu'on s'y attende, à devenir le témoin de ce qui façonne une vie : l'amour pudique qu'on reçoit, dans une période pourtant horrible, c'est le moins qu'on puisse dire. Le second point qui retient l'attention, c'est la documentation sur laquelle Guedin a du s'appuyer. Témoignage de vie, témoignage de Guerre et aussi témoignage des mœurs paysannes de cette époque, tout s'entremêle naturellement et ce n'est pas une mince affaire de le réussir de la sorte, sans jamais verser dans le documentaire, ni encore dans le pathos sentimental. Côté dessin, Dav Guedin renonce à son trait un peu caricatural, pour se concentrer sur un Noir et Blanc entre crayon et fusain et qui laisse la place au soin du détail, celui des portraits et des décors, des machines, des villages ravagés par les bombardements et des campagnes d'antan. Ajoutez une conclusion magnifique et Moisson 44 fait définitivement partie de ces bouquins qu'on est heureux d'avoir lus. Bref, un vrai tour de force qui ne s'en donne jamais l'air.
