L'histoire :
Dans un futur proche, formaté par les technologies et la science, une femme vit avec l'un des plus grands chercheurs de la Famille, l'organisation (ou l'entreprise) qui chapeaute le programme visant à trouver la clé de l'immortalité, un rêve divin. Pour ce faire, il réalise des expériences sur la mémoire par la méthode du clonage. Il est alors sur le point de réussir son défi : vendre l'immortalité dans des corps parfaits, soit la plus grande découverte de l'humanité. Mais sa femme rejette le procédé, elle qui croit que nous sommes nés pour mourir et que son mari est aveuglé par son orgueil de scientifique. Il reste cependant des détails à peaufiner et des sacrifices à faire pour chacun. Si l'expérience aboutit, finie la peur, finie la prison du corps. L'immortalité comme révolution, pour que les hommes deviennent l'égal des Dieux et même les dépassent. Tout ça grâce à la Famille. La Famille est amour, la Famille vous aime, la Famille vous offre le bonheur... L'immortalité ou le spectre de l'éternel retour, et le souvenir comme moyen d'échapper à la menace de la répétition pour ouvrir à un avenir meilleur...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En un sens, aime-t-on pour fuir la mort, cherche-t-on dans le sentiment amoureux l'immortalité ou une porte de sortie à notre condition de mortel ? La mort, condition de la conscience ? La mémoire, fardeau à porter pour ceux qui s'enferment dans leur souvenir ou vecteur d'une conscience qui nous rend humain ? A l'image de Etre mort, voilà entre autres les quelques questions posées par la BD L'odeur des sentiments, franchement intéressante, d'Alexandre de Moté. Deux personnages, une femme minée par des souvenirs douloureux qui veut juste aimer en paix. Un homme, son mari, scientifique de renom aveuglé par sa soif de reconnaissance et de richesse, à la solde de la Famille. L'auteur campe son histoire dans un monde futuriste à peine esquissé mais glaçant, presque réaliste, évoluant vers la dictature et dominé par la technologie, contaminé par un formatage qui promeut une propagande de l'eugénisme et des bienfaits de la consommation, offrant comme horizon la promesse de l'éternité. Perspective alléchante et lucrative mais diablement piégeuse... Sans intellectualiser à outrance son récit via une intrigue prenante, l'auteur s'interroge sur les grandes questions existentielles : la mort, l'amour, la liberté, la foi dans la science, l'atomisation des sociétés comme support des régimes totalitaires, le terrorisme aussi, fruit d'un pouvoir paranoïaque. Et les souvenirs, le passé, disque dur sombrant dans un oubli définitif. Inquiétant portrait d'une modernité à venir, celui du commerce de l'immortalité par le clonage, L'odeur des souvenirs navigue entre la mémoire vive, les corps en fusion et les sens en éveil pour redonner un peu d'épaisseur au réel, réincarner des sensations et matérialiser une société en phase aiguë d'aseptisation, pour donner à assumer, enfin, notre condition d'être mortel. Graphiquement, le résultat détonnant est raccord avec le ton noir du récit : fait de hachures et d’encrages en tout sens, le trait bâtit surtout un décor ou une toile de fond au propos. Un visuel un peu austère et sans grande variété, il est vrai, mais d'une réelle efficacité. Au final, un livre jamais prise de tête ou gratuit dans sa réflexion mais captivant, qui cristallise la folie du monde à venir et mis en scène avec intelligence. Glaçant, stimulant et, peut-être, visionnaire. La réalité aura-t-elle le dernier mot ?