L'histoire :
Un vieil homme se présente comme un ouvrier de la tour de Babel. Il tient un discours sur l’ouverture de l’esprit qui se fait plus grande lorsque les métaphores, les analogies ou les connexions sont lointaines et forcées. Il parle ensuite de la Tour, comment elle est construite, comment ce foutoir architectural énerva les Dieux aux tentacules gluants. Aujourd’hui encore, la divine et maudite Tour continue d’être construite vers le bas et le vieil homme souhaite bien des embûches à ceux qui y travaillent encore.
Un homme en porte un autre dans des escaliers. Celui sur les épaules, visiblement très « fatigué », déclame son plaisir d’être sous les effets de l’opium, avec un discours sur les pères fondateurs de l’humanité : les grecs. Il énumère ainsi le théorème de Thalès, la métaphysique, l’inceste, le parricide, l’astrologie, les lesbiennes, les callipyges et bien d’autres, en une litanie qui semble le porter au pâmoison de son sommeil éveillé. Enfin il s’écroule dans le lit où son ami l’a déposé. De retour au salon, ce dernier explique que Hip est tellement défoncé qu’il ne jouera probablement pas ce soir. Il n’a qu’à se requinquer à la cocaïne puis « venir baiser », suggère une des pin-up de l’assemblée. Mais Hip n’aime pas la cocaïne. Hip, qui signifie hanche, évoque par extension les fumeurs d’opium dans leur position allongée de côté. Yellowbelly Bill, également surnommé Willy le maniaco-bricolsif, reconnait les vertus différentes de l’opium et de la cocaïne, il explique que si certains s’accomodent des deux, il préfère pour sa part s’attarder sur celles de la cocaïne. Tout en parlant, il met la touche finale à un petit marche-pied secrètement rendu fragile. Pendant ce temps, Vince the Prince brûle un bouchon de liège qu’il dilue ensuite dans l’eau. Avec la pâte obtenue, il s’enduit le visage pour se grimer en nègre, en une personne de couleur, en éthiopien, bref en afro-américain. C’est pour la représentation de ce soir. Ces ménestrels nord-américains vont investir un cabaret dans lequel ils donneront leur comédie musicale.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec Blackface Babylone, une comédie musicale, Thomas Gosselin se lance dans une exploration ambitieuse de la nature humaine. De ses personnages toxicomanes, il émerge un foisonnement existentiel par ricochets logiques et moins logiques, aux raisonnements induits par diverses drogues. Ce groupe de blancs qui « jouent aux noirs » s’appuie sur son maquillage pour exprimer ses pensées provocatrices, reflet de la société. Une société qui sépare les blanc des noirs, alors qu’elle se compose d’une multitude de minorités, les gros, les fragiles, les timides, les puissants, les femmes… mais qui ne raille pas les uns et les autres avec la même application : les faibles étant les cibles préférées. Ces comportements irritent les Dieux qui se joignent à la partie, c’est l’histoire de la Tour de Babel, sublimée en un conte halluciné peuplé de junkies créatifs. Le trait nerveux, comme taillé à la serpe, est épaulé par une coloration originale qui tranche avec les habitudes. Chacun des personnages principaux bénéficie d’une « gueule », mais aussi d’un esprit, les deux aiguisés, même si altérés par les drogues. Et tous, ils paradent, bravent les Dieux, marchandent avec, comme si la suffisance qu’ils témoignent au quotidien, s’étendait à leur rapport à Dieu. Et tous, ils seront punis. C’est extrêmement complexe. Si le fil conducteur est là, parfois on s’égare dans ces suites de mots érudits mis en rapport par l’esprit vif de Gosselin, brillant, mais difficile à suivre dans son récit satirique pointu. La parabole de la Tour de Babel est juste, puisque déclinable à loisir depuis la révolution industrielle, et pourtant le résultat est un peu brouillon. Juxtaposition de traits de pensée assemblés en un symbolisme qui n’appartient qu’à l’auteur, il est bien difficile d’en saisir les codes. C’est compréhensible malgré tout, mais ça demande tellement d’attention que ça retire une part du plaisir de lire. Avec des textes parfois interminables chantés en litanies abrutissantes, l’intérêt fléchit et l’histoire s’égare dans une nébuleuse intelligente mais barbante.