L'histoire :
Voilà déjà quelques temps que la fourmi n’arrêtait pas de se poser cette question. Bien que son compagnon ne le comprenne pas, cette vie minuscule lui était devenue insupportable. Tous les jours il fallait apporter à la reine ce que l’on avait prélevé et la pénétrer afin de l’emplir de sa semence nourricière. Les déviances n’étaient pas tolérées et l’individu devait se conformer à ce que la collectivité attendait de lui, reproduisant les schémas enseignés par ses parents. La colonie grandissait ainsi inconsciente des dangers environnants. Un ver de terre, un trognon de pomme ou un morceau d’aspartame géant pouvaient se révéler des poisons mortels pour qui n’y prendraient pas garde. L’araignée aussi était un prédateur indirectement redoutable. Si elle préférait s’attaquer au mille-pattes ou autre insecte, le lait né de ses accouplements et répandu sur terre était une drogue qui rendrait folles les fourmis rouges qui le boirait. De premiers crimes allaient survenir, qui conduiraient bientôt à la guerre, puis à la fin, peut-être, de la fourmilière…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Artiste génial ou auteur incompris, le jeune Canadien Michael Deforge a reçu nombre de distinctions pour son travail. Ses séries Lose (2012) ou En toute simplicité (2013) ont obtenu des prix et ont été toutes deux déjà traduites aux éditions Atrabile. D'inspiration très contemporaine, La fourmilière raconte la progressive décadence d’une colonie de fourmis noires, attaquées par leurs frères de sang ennemis. S’attachant à quelques individus en particuliers, une « mère » et son petit, deux presque frères, des fourmis policiers, etc. l’auteur semble montrer comment, à partir de questionnements latents, amplifiés par l’événement destructeur – la guerre – l’abnégation collective de prime abord naturelle s’efface devant les égoïsmes individuels. A la fois cruel et philosophique, le propos métaphorique de la fourmilière vaut sans doute pour nos sociétés humaines. Les couleurs flash et criardes participent à l’agression visuelle d’un album qui laisse au final perplexe. Tropismes sexuels et belliqueux en pagaille, on est là proche d’un récit cathartique, d’une sorte d’autodafé produit par une espèce incapable de répondre aux maux qui la gangrène, et qui s’effondre sur elle-même, négligeant jusqu’à sa mère – terre – nourricière pour la laisser pourrir : juste retour pour celle qui autrefois dévorait ses enfants ? Peu engageant, en somme, pour le grand-public, du moins. Le lecteur osera feuilleter une page ou plus, détestera ou pas, cet album est en tout cas bien difficile à conseiller. Visuel réducteur, intrigue allégorique, propos anarchique : à réserver aux seuls initiés ? Vous jugerez.