L'histoire :
Sur Terre, un gigantesque pipeline vient puiser son eau dans les profondeurs d’un océan. Puis il part tout droit à travers la rocaille et les steppes désertiques, sur des kilomètres. Il passe à côté d’une mer morte, qu’il a jadis asséchée en lui puisant toute son eau. Le pipeline aboutit à un grand centre industriel. Il remplit des cuves, suit un process d’épuration entièrement automatisé. Au bout de plusieurs tapis roulants, une partie de l’eau finit conditionnée dans des bouteilles et des bidons, sur palettes. Une autre partie repart à travers un autre pipeline, toujours à travers le désert. L’autre centre industriel où elle aboutit, sert à remplir de gigantesques cuves-silos. Des tracteurs robots installent alors ces silos d’eau sur des propulseurs spatiaux. Régulièrement, des fusées décollent vers une station lunaire. Sur la Lune, un autre process automatisé se charge à son tour d’embarquer les silos d’eau vers le système d'irrigation de sphères terra-formées et occupées par quelques riches familles humaines. Cette eau alimente des canaux qui zigzaguent autour de somptueux jardins en terrasses, façon Babylone. Cette station est habitée par un vieux couple, dont la femme est malheureuse. Elle ne vit que dans le souvenir éploré de sa jeunesse perdue et de sa fille lointaine, restée sur Terre…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Les climatologues nous le prédisent : la guerre de l’eau se profile… Et la géopolitique récente, tout comme la concrétisation des pires trajectoires climatiques, tendent à leur donner raison. L’auteur Nicolas Presl nous alarme à travers ce petit – mais très épais – bouquin muet. Sa narration 100% visuelle nous donne à suivre plusieurs trames parallèles, à travers un découpage en gaufrier régulier (4 cases par page ; avec parfois un regroupement de 2 ; ou des 4, soit en pleine page). Nous sommes ici dans un contexte d’anticipation peu glorieux, une dystopie presque crédible. Les ressources en eau de la Terre sont devenues l’un des biens les plus précieux. Et pour cause, quelques gros bâtards de riches la spolient aux terriens, depuis leur base lunaire, où ils en ont besoin pour irriguer leur merveille : la reconstruction des antiques jardins suspendus de Babylone. Evidemment, sur Terre, l’ordre autoritaire réprime dans le sang révoltes et actions militantes musclées. C’est dans ce contexte politique et social plus que tendu que nous suivons une famille déchirée. A travers un style graphique qui lui est propre, Presl met en scène des personnages aux visages volontairement disgracieux et parfois mal orientés… On se prend à trouver dans cette manière quelque chose de Jérôme Bosch ou de Pablo Picasso. En tout cas, comme toute dystopie qui se respecte, cette vision d’un avenir peu glorieux pour l’humanité fait froid dans le dos. Espérons qu’elle ne soit pas trop prophétique et agissons pour l’éviter.