L'histoire :
Dans un coin désertique de Turquie, un jeune berger poireaute au bord d’un chemin, assis sur un abreuvoir, tout en gardant ses brebis. Vient à passer un 4x4 avec un couple moderne à bord. Toute excitée de saisir la ruralité sur le vif, la jeune femme prend le berger en photo. Puis ils repartent… Le berger laisse faire, puis ordonne à son chien le rassemblement. Sitôt fait, il enfourche sa moto, sort son téléphone portable et regagne son domicile. Le lendemain matin, au sein d’une autre famille « traditionnelle » voisine, un vieil homme se réveille avec l’appel du minaret. Il y a encore du sang sur son oreiller. Il s’habille, se lave les pieds, déroule son tapis persan vers le levant et prie. Sa femme et sa fille lui préparent le café, puis il s’installe dehors, sur son tabouret. Très inquiète pour sa santé, sa fille lui remplace son mouchoir plein de sang par un propre. Au même moment, le berger se réveille aussi, en écoutant du rock sur sa chaine. Une rapide toilette et déjà ses parents le réclame à ses tâches agricoles : remplir et sortir les bidons de lait qui pèsent une tonne, pour le ramassage. Le berger s’exécute, peu emballé par cette activité. Le 4x4 passe encore, s’arrête et la jeune femme du bord prend en photo les bidons, ça fait trop rustique ! Le berger, lui, salue et dragouille la voisine qui étend son linge. Le vieil homme se lève alors de son tabouret et s’insurge !
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec Orientalisme, Nicolas Presl présente une intention originale, pas inintéressante dans le fonds et bizarroïde dans la forme. Sur une narration sans phylactère, donc totalement muette et visuelle, selon un strict gaufrier de 4 cases par planche, il met en scène le virage moderniste entrepris par deux jeunes gens issus de familles traditionnelles turques, qui prennent leurs destins en mains. Se confrontent, se chevauchent et se brouillent alors les clichés de la ruralité et l’appel de l’occident. Le téléphone portable contre le tchador, l’exploitation de la ferme contre un métier urbain exercé à Istanbul. Logiquement, ces héros ordinaires se confrontent aussi à la difficulté de s’affranchir, à l’espoir et au repentir… Cela finit par ressembler à un road-movie, avec une fin ouverte. Mais la plus-value se trouve avant tout dans les partis-pris graphiques de Presl. D’une part, les faciès des personnages sont déformés, presque monstrueux, avec des yeux gigantesques, des traits disgracieux, une proportion étrange à se tourner à 90° vers le ciel… Moult « erreurs » volontaires de perspectives se portent aussi sur des parties de la mise en scène, comme si l’âme de Picasso avait parfois mis un coup de poltergeist dans les cadrages. A d’autres moments, le dessin semi-réaliste se montre plus régulier et d’ailleurs d’une belle maîtrise. Enfin, Presl ajoute tout du long une bichromie à son dessin à l’encre de Chine – rouge et/ou bleu, primaires et purs – pour souligner les éléments importants des situations : une canne, des souliers, une boucle d’oreille, le café, le sang… Si cela surprend au départ, cela guide assurément le lecteur et lui accorde la narration plus limpide. Car le choix du muet ne permet pas de rendre toutes les scènes explicites au premier abord. On finit tout de même par comprendre le sens général du récit, mais pas à en saisir un propos ferme et définitif.