L'histoire :
Après des années de travail relativement discret, le dessinateur de BD Vincent Marbier connait un succès retentissant. Le tome 1 de la nouvelle série qu'il dessine a atteint des chiffres de vente que la profession n'espérait plus, alors que l'avalanche de nouveautés fait chuter le tirage de la plupart des albums. Sa maison d'édition compte d'ailleurs sur le deuxième tome du Sentier des Ombres pour boucler ses comptes de fin d'année. Après bientôt deux ans d'attente, la demande des lecteurs est devenue pressante. Mais Vincent connait un problème qu'il n'avait pas prévu. Tranquille dans sa maison d'une ville de province, sa vie rythmée par une petite fille qu'il garde en alternance avec son ex-femme, il devrait avoir tout le temps nécessaire pour illustrer les pages que son scénariste a écrites depuis plusieurs mois. Mais malgré un jogging quotidien pour se changer les idées, malgré les demandes répétées des fans qu'il rencontre en séances de dédicace, Vincent n'arrive plus à travailler. Est-ce que la série grand-public qui a fait de lui un auteur célèbre dénature ses attentes artistiques ? Ses collègues qui galèrent pour boucler leurs fins de mois lui donnent-ils des scrupules qui bloquent sa créativité ? Son éditeur et son scénariste, autant pragmatiques qu'impatients, décident d'accueillir Vincent pour un pot en l'honneur de la sortie tant espérée. Vincent est donc invité à venir présenter ses dix premières planches dans les locaux de son éditeur parisien...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Cases Blanches pourrait être un album témoin de ce que vivent de nombreux auteurs de BD aujourd'hui, alors que la production dépasse 5000 albums par an. Très peu d'entre eux, en particulier les dessinateurs dont le travail prend énormément de temps, parviennent à vivre de leur métier, la plupart des albums étant trop peu diffusés pour permettre une rémunération juste de leurs créateurs. Sylvain Runberg a choisi de plonger dans les difficultés que rencontrerait un dessinateur qui vivrait un succès imprévu, une notoriété « à la Blacksad » qui vous met sans prévenir sous les feux de la rampe. Au lieu de se réjouir et de faire pour son tome 2 grosso modo la même chose que pour le tome 1, Vincent bloque. Tout à fait capable de dessiner ses personnages d'heroïc fantasy lors des festivals auxquels il est invité, il ne parvient plus à mettre en scène ses cases. Les collègues et amis qui partagent son quotidien devinent pour certains qu'il est dans une mauvaise passe. Mais impossible pour eux de franchir la barrière qu'il a érigée, derrière laquelle il abrite sa propre incompréhension. Cette intrigue intimiste et sociale, ancrée dans la réalité du business de la bande dessinée, est parfaitement crédible, convaincante dans l'absence de toute emphase. Runberg s'est à nouveau associé à Olivier Martin, déjà au pinceau de l'excellent Face Cachée. Le duo fonctionne très bien, éclairant le lecteur sur les dessous de la création de bande dessinée, et sur les facettes pas forcément glorieuses du métier d'éditeur. Mais tout est raconté sans manichéisme, fournissant au contraire une sorte de constat réaliste très instructif et habilement complété par la fausse interview des auteurs proposée en fin d'album. Une lecture intéressante, impeccablement mise en scène.