L'histoire :
En octobre 1781, alors qu’il n’est qu’un simple conscrit au service de l’armée d’indépendance des Etats Unis, Nathan Prius est repéré par son général en train d’écrire à la plume, abrité sous un semblant de tente. Les soldats qui savent lire et écrire sont rares… Prius explique qu’il rédige des articles, des témoignages du quotidien sur le front de la guerre, qu’il envoie ensuite au rédacteur en chef du Richmond News, George Ellis, afin qu’ils soient publiés dans son journal. Hélas pour Ellis, c’est là qu’est l’os : ce dernier a choisi le mauvais camp. L’éditeur de presse est en effet anglican et conservateur. Il espérait la victoire des anglais, plus à même de faire fructifier le commerce en général et à son profit en particulier. Or en cet automne, ce sont les indépendantistes appuyés par les troupes françaises de Lafayette qui défilent victorieux dans la rue principale de Richmond. Prius rend alors visite à Ellis, espérant lui vendre d’autres feuillets. Mais Prius est aussi perspicace qu’Ellis est fourbe. Il a bien repéré que l’éditeur s’attribuait la paternité de ses écrits et qu’il le payait au lance-pierre. Prius sent poindre l’arnaque et il décide de prendre son indépendance en éditant lui-même le Liberty. Il lui faut dès lors trouver du matériel, un atelier et des associés... Mais c’est alors que des gardes viennent l’arrêter. Il est emprisonné pour agression sur la personne de George Ellis !
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Derrière cette surprenante et culottée couverture, sobrement titrée « Le journal », cette histoire en one-shot nous propose une immersion historique dans la création d’un journal, à l’ère où ce biais d’information s’est développé, au lendemain de la révolution des Lumières et à l’aube de nos démocraties. Patrice Ordas a légué à la collection Grand Angle un scénario posthume très documenté et pointu – le scénariste est décédé en décembre 2019. Pour les bons côtés, la retranscription historique est d’un réalisme rare. Elle sait s’affranchir des étiquettes d’ambiances qu’on attribue traditionnellement à la période (fin XVIIIème, début XIXème) sur le Nouveau Monde, c’est-à-dire ni trop romantique, ni trop western. Le dessin réaliste de Philippe Tarral n’est pas avare en décors, tout en couleurs directes parfois très pêchues… parfois « trop » : dans certaines cases chargées de couleurs, on peine à distinguer les masses, l’action importante du décorum secondaire. A travers la narration exigeante – il n’y a pas de souffle narratif porteur, les dialogues et récitatifs sont souvent pointus / ardus – il est aussi difficile de s’attacher aux protagonistes, Nathan Prius et ses étranges yeux verrons en tête. On saisit mal leurs personnalités, leurs carburants et leurs champs des possibles. Reste que cette aventure du Liberty Herald, de ce qui deviendra un empire de presse, est intéressante de par sa peinture historique et son message de fond qui met en avant l’éthique et le verbe. Soient les deux qualités fondamentales d’un média, qui ont tendance à se perdre…