L'histoire :
Pas simple la vie de Joe Horton. Ecrivain à succès, courtisé par le cinéma qui adapte ses livres, il voit sa vie basculer lorsqu'il découvre dans sa maison en travaux une cave secrète, et une série de portes qu'il n'avait jamais ouvertes. En franchissant une première porte, il se trouve projeté dans une réalité parallèle. Dans celle-ci, Joe n'est plus écrivain mais star du rock, une carrière à laquelle il avait du renoncer après avoir été défiguré en défendant sa petite sœur attaquée par un chien. Perdu dans cette réalité qu'il ne comprend pas, gardant des souvenirs de sa seule vie d'écrivain, il cherche à tout prix à revenir dans sa vie normale. Lorsqu'il parvient à retourner dans la cave mystérieuse, il franchit une nouvelle porte, et se fait arrêter par la police en sortant de la maison. Visiblement, Joe n'est pas revenu chez lui, et c'est en prison que nous le retrouvons, incapable de décliner une identité crédible aux policiers qui le détiennent. Dans cette nouvelle réalité, Joe n'est ni écrivain, ni star du rock, mais un simple employé de bar dans la ville américaine de Tulla. Lorsque sa sœur s'est faite agresser par un chien, il ne l'a pas défendue mais il a fui, commettant ainsi une des premières lachetés qui vont émailler sa vie. Marié à une très belle femme qui le méprise et le trompe ouvertement, il est devenu une sorte de larbin affecté aux tâches subalternes dans son propre bar. Des souvenirs reviennent des évènements qui ont marqué la vie de ce Horton employé de bar. Mais il garde aussi le souvenir de sa vie réelle, le souhait plus fort que tout de retrouver sa femme et son fils, et surtout la force de caractère qui caractérisait l'écrivain à succès. Joe rassemble ses forces pour retrouver la cave aux six portes dans une maison qui ne lui appartient plus, sans savoir si le prochain passage va le rendre à sa vraie vie, ou le projeter dans une nouvelle déclinaison possible de son existence.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Il y a beaucoup de savoir-faire chez ce scénariste chevronné de Rodolphe, qui évolue ici dans un univers de mystère au cœur des années 60, qu'il affectionne particulièrement. Une intrigue sans scène d'action spectaculaire, sans poursuite en voitures, sans fille dénudée qui sort de la douche, bref sans aucun des ingrédients a priori indispensables pour attirer le lecteur d'une série BD grand public. Pourtant tout fonctionne très bien, on est happé par le sort de Joe, qui plonge d'une réalité à l'autre sans explication. La force du travail de Rodolphe réside dans un découpage millimétré des différentes étapes de l'album, un dosage parfait des réflexions du héros sur son propre sort, et de l'intrigue qui progresse. Chaque révélation faite au personnage est une découverte pour le lecteur, qui du coup s'identifie complètement à lui. Le dessin de Lounis Chabane, sobre et épuré, sert l'intrigue sans fioriture ni détail inutile. Il parvient à rendre visible l'inquiétude du personnage, et démontre une belle technique lorsqu'il s'agit de dépeindre un Joe qui aurait quelques kilos de trop dans cette réalité de barman loser. On sait par expérience que le scénariste de Kenya ou des enquêtes du Commissaire Raffini est un artisan rusé qui sait utiliser les outils d'une intrigue avec dextérité, tout comme on devine que la conclusion de ce tryptique risque de laisser le lecteur sur une question du genre « et si tout cela n'était qu'un rève ». Mais on tire son chapeau devant tant de maîtrise. La seule petite maladresse qui pourrait agacer le lecteur étant les références répétées au tutoiement entre les personnages... Sachant qu'à Tulla dans les années 60, comme dans tous les Etats Unis et partout où l'on parle anglais, le tutoiement n'existe pas. Mais je ne vous ai rien dit, déjà dans le tome 1, tu ne t'en étais pas rendu compte cher lecteur. Vas-y donc, laisse toi faire, et plonge sans retenue dans ce « what-if » bien ficelé.