L'histoire :
Cyan, magenta, jaune : trois couleurs de peau, de classes sociales. Trois avenirs déjà écrits dans la mégalopole de Bourne, mélange improbable entre un New-York de seconde zone et l’Italie. Liv, Roman, Becca, Yari, Emil et Mina, adolescents, décident d’aller au-delà de ces différences, jusqu’au traumatisme causé par la mort d’un des leurs. Une utopie s’écroule et tout cela est enfoui. Vingt ans après, le passé remonte et vient les questionner. Sur leurs agendas, leurs couleur de peau. Tous vont devoir se reprendre en mains, apprendre à se côtoyer à nouveau, difficilement pour certains, avant que d’autres ne décident pour eux. La politique n’aime pas les différences de couleur...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
On a pu découvrir Lucia Biagi avec deux autres titres chez çà et là en 2015 et 2017. Mais sans doute n'ont-ils pas suffi à faire remarquer l'autrice en France. Pourtant, son trait souple et enjoué, digne d'un des meilleurs mix entre culture européenne et comics indépendants, valait déjà le détour. Elle qui a cofondé le label turinois Amanita comics et s'occupe avec son compagnon de la librairie spécialisée Belleville comics, maîtrise à la perfection le langage de la narration graphique. Cela saute aux yeux dès la première page de ce thriller dystopique. Si la thématique des communautés « raciales » à couleurs de peau différentes sous-tend le récit, évoquant avec un beau pas de côté les problèmes réels du monde moderne et des castes sociales, c'est autant dans les détails du dessin et la justesse des dialogues que l'on savoure ce roman graphique. Rien n'est laissé au hasard. Et si le trait au style « école fanzine » peut sembler jeté, il faut voir la méticulosité avec laquelle Lucia Biagi peaufine chaque case, pour développer les ambiances. On est aussi frappé par le charme émanant des personnages principaux, en particulier Becca, Liv et Mina - cette dernière semble particulièrement « coller » à l'identité de l'autrice elle-même. Les apparences physiques sont détaillées (maigreur franche ou formes, vêtements de mode « à l'italienne » charmant, ou habits du quotidien très réalistes) rendant l'attachement particulièrement fort. Les angles de vues sont aussi nombreux et variés, et certaines scènes marquent par leur justesse. Page 205, celle où l'inspectrice Detective Dyve échange par téléphone avec son collègue Mike Rudofis au bureau, en s'énervent malgré elle sur le bouton de son stylo, semble issue tout droit d'un classique de grand réalisateur. 478 pages où l'on ne s'ennuie à aucun moment, où le plaisir surgit quasiment à chaque case, cela est rare et c'est pour cela que cet ouvrage sera primé. On parie !?