L'histoire :
Margrit, née en 1948, mariée à Heinrich, est femme au foyer et mère de quatre enfants : Christine « Chrigi », Cornelia, Markus et Stefan, âgés en 1983 d'environ quatre à 15 ans. C'est à cette époque que débutent les « perturbations », remarquées par l'auteur. Alors qu'un beau dimanche de juin, tout se passe normalement, Margrit remarque les voisins installés sur leur terrasse dehors, avec leurs enfants et ceux d'amis. Au milieu de la table : deux biberons avec des tétines dessus. Cet élément va déclencher la colère de la mère, qui va se sentir visée pour une raison n'appartenant qu'à elle. Elle va sortir une chaise dans son jardin, l'installer face à ses voisins et leur ordonner de retirer ces biberons. Elle restera jusqu'à ce que ces derniers obtempèrent en terminant leur soirée. Alors certes, oui, chaque mercredi, celle-ci allait chez le psychiatre, mais de cela nul ne parlait alors. D'autres événements vont marquer l'enfance et l'adolescence de l'auteur, mais ce n'est qu'en 2018 que ce dernier va se plonger dans les carnets intimes de sa mère, qui a tout noté, décrit, de manière systématique. S'emparant de ces écrits, et recueillant les témoignages de toutes ses connaissances, il va retracer le parcours psychique compliqué de sa maman, décédée cinq ans plus tôt d'une sclérose latérale amyotrophique, en soins palliatifs.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Les sujets autour de la maladie sont pléthore depuis une quinzaine d'années dans le domaine de la bande dessinée. Ils représentent désormais une partie non négligeable de la BD du réel. Stefan Haller, graphiste suisse et illustrateur humour dans diverses revues, n'a pas choisi le sujet le plus simple pour son premier album, paru originellement en 2021. Il déroule au mieux le fil d'une vie compliquée, dans laquelle la mère de famille a eu du mal à assumer son statut. Usant d'un dessin noir et blanc au trait encré tout à fait correct, que l'on trouve dans de nombreux romans graphiques alternatifs, il décide cependant de répartir sa mise en page en séquences bien différentes. Si certaines pages issues des carnets sont traitées de manière classique, avec cases, bulles et textes off, nous plongeant assez facilement dans le récit, d'autres, descriptifs de vie, sont séparées par des traits rouges horizontaux et annotés de textes de la même couleur. Celles-ci apportent un aspect documentaire à l'histoire, et surtout une ambiance quasi clinique qui dérange. Cette alternance entre récit « fictionnel » et essai documentaire trouve une certaine limite dans le confort et l'envie de lecture. D'autant que l'usage de pensées (bulles nuages) est très important et perturbe plus encore un récit pluriel naviguant sans cesse entre les points de vue. Cependant, on a envie de la reprendre, tant l'enquête sur la maladie, traitée tel un vrai personnage, est passionnante. Si l'ouvrage s'avère intéressant au final, pour tout lecteur s'interrogeant sur la psychiatrie, le mal-être, l'influence d'un manque de tendresse sur ses progénitures, les trois pages de bonus rédigées par Peter Schneider, psychanalyste enseignant à l'université de Zurich ajouteront à sa pertinence. Pour les autres lecteurs, un certain courage sera nécessaire pour arriver au bout.