L'histoire :
Vers la fin des années 2010, une cohorte de « passeurs » avance sur un sentier abrupte à flan de falaise. Ce sont des kolbars, des kurdes iraniens, chargés de lourds ballots de marchandises, qu’ils passent à la frontière entre l’Irak et l’Iran, à destination du marché noir iranien. Ils risquent la chute dans le vide à chaque pas, mais le plus grand danger vient des gardes-frontières qui n’hésitent pas à tirer sur eux. Le plus jeune de la bande, Soleyman, écope d’ailleurs ce jour-là d’une balle en pleine tête. Deux mois plus tard, les besoins financiers de certains kolbars les poussent à accepter un nouvel aller-retour à travers cette région escarpée. Ce commerce illégal est en effet bien payé, malgré les risques, au regard de la précarité générale. Parmi ces passeurs, il y a Jalal, un ingénieur, qui compte bien être de retour le soir même, afin de rejoindre la femme qu’il aime en secret. Mais il y a aussi Elias le nain, le vieux Rostam, Nasser le taiseux, Pablo le pénible… Il y a aussi un gamin, Shanyar, qui doit faire son premier voyage car il a besoin de nourrir sa famille, après que son père a été tué par les douaniers…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Cette BD met en scène des personnages et une aventure fictifs, mais elle dénonce un contexte géopolitique et commercial authentique et contemporain. Dès la préface, l’auteur iranien Mana Neyestani – réfugié politique en France depuis 2012 – explique le système de contrebande qui s’est installé sur la frontière entre l’Irak et l’Iran. La théocratie iranienne ayant déclenché des sanctions internationales, le marché noir est un appel d’air pour les mafias locales. Les porteurs exploités sont des passeurs kurdes, appelés kolbars, qui bravent mille dangers sur des chemins escarpés pour faire traverser des marchandises. Au-delà des dangers d’un relief accidenté, ils peuvent aussi être pris par des avalanches, sauter sur des mines antipersonnelles, être pris pour cibles dans la ligne de mire des douaniers, ou tout simplement mourir de froid isolés en raison des aléas météo. Neyestani nous donne ici essentiellement à suivre l’expédition d’un porteur diplômé appelé Jalal, au sein d’un groupe de porteurs qui ont chacun un caractère attachant. Chaque début de chapitre commence par une scène interlude qui montre son amoureuse en train de tisser un tapis persan – l’une des spécialités artisanales des kurdes. Le tissage progresse à mesure que se détériore la situation des porteurs… jusqu’au twist final, aussi inattendu que cruel. Le dessin en noir et blanc, composé de fines hachures, ne montre quasiment rien du paysage, se contentant de cadrer sur les protagonistes et leurs douleurs. L’objectif n’est certes pas touristique. L’auteur dénonce une situation dont on n’entrevoit aucune issue à court terme, à partir de témoignages et de photographies.