L'histoire :
Tiodora était une femme du Congo ou d'Angola, née au début du XIXème siècle. A l'époque, elle est amenée de force en esclavage au Brésil, séparée du reste de sa famille, et ne cesse d'essayer de gagner sa liberté. En 1866, elle comparait au procès de l'esclave Taro, alors qu'il est soupçonné de vol dans la demeure du chanoine Terra, son maître à elle. A la disposition de la police et des juges, se trouvent des lettres qu'elle a fait rédiger par un autre jeune esclave de gain (ayant un travail), sachant écrire. Ces dernières doivent transiter par le biais d'un Trompeiro (conducteur de troupeaux), au sein des campagnes et des plantations, et servir à donner des nouvelles à son mari et son fils, réduits en esclavage ailleurs. Elle espère les rejoindre après avoir acheté sa liberté. Cela ne se fera cependant jamais...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Les éditions Ça et là sont connues pour leurs livres de grande qualité. Cet ouvrage de belle facture se dévoile rapidement comme un incontournable. Sa maquette est également très fournie en documents d'archives. Dès la première page, le noir et blanc de Marcelo d'Salete, né à Sao Paulo et auteur déjà publié deux fois chez l'éditeur depuis 2016, nous immerge dans le Brésil noir, ses croyances et son empreinte. Son trait à la plume, au pinceau, avec ce qui ressemble à des trames, pose chaque case tel un tableau de Jais, rappelant par moment la technique de la xylogravure. Les dialogues sont mesurés, mais les tensions entre chaque protagoniste palpables. On sent bien que c'est l'espoir et le fort rapport aux racines qui ont accompagné toute sa vie Tiodora dans cette terre d'exil. Car bien que cette période ait été celle d'un fort courant abolitionniste, plusieurs centaines de milliers de personnes sont encore asservies à l’époque sur place. L'avant-propos de Marcello D'Salete et les textes de Christina Wissenbach, professeure d'histoire de l'Afrique à l'université de Sao Paulo, ainsi que les nombreux autres documents : cartes, photographies et glossaire fournis en fin d'ouvrage, permettent de resituer de manière plus cartésienne le destin de cette femme « Mukanda » (missive) d'après les écrits qu'elle a laissé. Au-delà, ils rendent hommage à tous ces déracinés qui ont participé malgré eux à faire ce qu'est une grande partie du Brésil aujourd'hui. Un sujet rare. Une œuvre remarquable, primée dans la catégorie Roman Graphique, par le Prix Jabuti 2023, un prix littéraire de référence au Brésil.