L'histoire :
Esther est une jeune femme vivant seule avec des phasmes, qu'elle élève dans un aquarium. Elle vient de perdre son dernier travail de ménage, car elle dessine à ses heures perdues. Elle reprend d'ailleurs ses carnets et se décide à monter un atelier de nu les dimanches soirs. Là, elle va accueillir Rita, une sexagénaire fantasque et bien portante, maman célibataire d'une fille qu'elle ne voit plus très souvent. Rita postule pour poser nue, sans expérience, pour le fun. Toutes deux vont apprendre à mieux se connaître, de loin en loin, tandis qu'Esther débute une relation avec Nico, un garçon charmant rencontré dans un club...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
La palette graphique est surprenante, faite d'aquarelles aux tons de verts délavés, sur des corps longilignes par petites touches, s’équilibrant doucement avec les textes. Puis on passe du rouge au jaune, s’immisçant dans l'histoire, pour s'étirer vers des éclaboussures, de belles pages aérées. Ou d'autres, somptueuses et plus sombres, toutes en fusains de couleur, ou mélangées d'aquarelles, jusque sur un fond de papier kraft. L'œil est sollicité sans cesse, tel dans un album jeunesse aux expérimentations folles et fascinantes, qui auraient laissé entrer par effraction le texte d'une adulte. Car si Sabine Clément, illustratrice flamande née en 1978 a effectivement publié beaucoup d'albums jeunesse, elle ne se résume pas à cet univers. Elle évoque davantage ici le style de l'illustration britannique des journaux, façon Posy Simmons, mais sous acide. Tandis que celui de sa collègue Mieke Vetsyp, plus âgée de treize ans, est davantage issu de la philosophie qu'elle a étudiée, ainsi que la critique de théâtre et de danse, quelle a longtemps pratiquée, avant de passer à la direction de théâtre et de compagnie. Sa carrière d'autrice a débutée en 2007 avec un premier livre jeunesse justement dessiné par Sabine Clément. Peau est son premier roman graphique. L'histoire de ces deux femmes, Esther et Rita, est racontée tout en poésie dramatique, prenant le temps de respirations pour chaque passage sur l'une ou l'autre, alors que, irrémédiablement, l'on sent que leurs destins sont croisés. La volonté de la scénariste de mettre des mouvements dans son récit, comme des mouvements de musique classique, ou de corps, mais aussi le ponctuant de chapitres tels les actes d'une pièce de théâtre, trahit pour notre plus grand plaisir sa connaissance du milieu et son amour de la culture et de la danse. Sabien Clément le lui rend magnifiquement, en donnant à ses traits l'élasticité nécessaire pour offrir ces destins de femmes fragiles – mais riches de cœur – les plus attachants possible. Alors que celui-ci nous a quittés il y a peu, on se surprend à imaginer un Sempé féminin, qui aurait raconté une histoire de deux cœurs se cherchant. Flamboyant et exceptionnel.