L'histoire :
Rose Arensberg fait partie d’une équipe de femmes travaillant comme soudeuses sur le chantier naval de Brooklyn pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle entretient une relation amoureuse avec un vétéran, en attendant le retour de son mari, Sam, engagé sur le front en Europe. Rose doit faire face à un quotidien difficile, tout en s’occupant d’Eleanor, sa petite fille impressionnable, et aussi de Ruth, une réfugiée juive allemande qu’elle héberge. Ruth va tenter d’exorciser le trauma de son enfance dans l’Allemagne nazie d’avant-guerre en devenant lutteuse professionnelle, avec des conséquences dévastatrices. Quant à Sam, les horreurs découvertes à la libération d’un camp de concentration le poursuivront jusqu’à son retour à Brooklyn sous la forme de Flashbacks terrifiants qui le marqueront à jamais.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Il est des livres qui frappent dès leur couverture. Ici, une jeune femme en bikini de music-hall, assise nonchalamment sur une poutre de gratte-ciel, le visage cependant émacié à l'extrême, tel un cadavre. La fumée s'échappant de sa cigarette prenant une allure de nuage noir peu ragoûtant. Au sol : d'un côté des cadavres squelettiques, de l'autre des ouvrières féminines équipées de crochets. L’artiste Leela Corman collabore pour les plus célèbres journaux et revues américaines, tout en menant une carrière de danseuse du ventre. Son premier album Dessous (Unterzakhn, chez Shojen Books, 2012, traduit en France chez Çà et là), a été sélectionné aux prestigieux Eisner Awards et a obtenu le prix Millepages. Elle enseigne, comme son mari l'auteur Tom Hart, la bande dessinée. Tous deux ont eu à vivre le drame du décès précoce de leur enfant de deux ans. Il ne fait que peu de doute que cette expérience ressort aujourd'hui dans ce roman graphique. En effet, la force du propos, sa poésie, la thématique fantomatique des êtres chers perdus qui reviennent nous hanter de manière positive, mais aussi la lutte qu'il faut mener quotidiennement, au sens propre comme au figuré, tout cela appelle du vécu, qui s'ajoute à la thématique de la Shoa et du judaïsme, familier et sous-tendant l'œuvre de l'artiste. Ce propos multiple, nous immergeant dans la vie de « Rosies les riveteuses » obligées de se rabaisser pour quelques quignons de pains supplémentaires, ou comme Ruth, combattre sur le ring ; la notion de fierté (masculine), de blessures, de tromperie, de solidarité, de résilience, de deuil, et enfin de découverte de l'horreur, et d'acceptation, ou d'ignorance pour certains (la victoire peut parader, tout en regardant des comédies musicales !), cela apporte une matière consistante à un ouvrage dont le graphisme n'est pas en reste. Celui-ci, composé d'un mélange de traits encrés et d'aquarelles aux tons vifs, reprenant par moment des classiques de l'époque, tel Les joueurs de skat d'Otto Dix, se dévoile sur trois cases par page la plupart du temps, lui permettant une clarté et une visibilité parfaite. De quoi s'abreuver sans retenu dans un livre aux sujets forts. Plus que remarquable : magnifique.
