L'histoire :
1768, un navire accoste a Nuestra Senora des Nuen Ayre. A son bord, une maman aristocrate peu maternelle avec son jeune enfant, s’impatiente, tandis que les canots se relaient pour mener chacun à bon port, la côte étant peu profonde. De leur côté, trois femmes entièrement cachées dans de grandes tuniques capuchonnées de couleur vin vont passer en premier, accompagnées par un bouc, de la même couleur. Se lamentant de son sort, la maman finit par s’inquiéter de son garçon. Elle l’aperçoit mais trop tard avec une longue vue, au milieu des trois femmes et le bouc, sur une des barques en partance. De nos jours, deux copains échangent à une terrasse de café. L’un, désespéré par les agissements de ses voisins du dessous, pratiquant des actes sexuels intenses et sans arrêt, se décide à suivre l’homme. Grimpant à un arbre surplombant l’enceinte du vieux manoir où ses pas l’ont guidé, il est témoin d'une cérémonie satanique, et va, suite à cela, hériter de pouvoirs sexuels incontrôlés. Lui qui se moquait de son couple de voisins insatiables va subir les affres de la dépendance.
Ailin est une jeune indigène argentine venant proposer ses services aux fameuses sœurs, installées dans une grande demeure où elles accouchent entre autre les femmes ayant des problèmes. Ailin doit cependant cacher son petit bébé Nahuel, car la « faim » de leur bouc semble insatiable. Sa réticence à rejoindre totalement leur communauté lui sera fatale.
De nos jours, Belen, jeune femme célibataire très casanière, vivant avec sa chatte Filomena, est sollicitée par mail par Dario, le vétérinaire venu à domicile s'en occuper quelques semaines auparavant. Cela lui apparaît cependant trop intrusif tandis qu’elle s'apprête au même moment à perdre son emploi. De son côté, Dario semble avoir des soucis avec ses tantes dont le bouc est tombé malade.
Paula et Pablo quant à eux doivent se mettre en appartement, mais les appels de ses tantes que Paula s'entête à cacher à son ami le vexe. Il va dès lors capter un appel sur le mobile de Paula, provenant de son frère Dario. Ce sont cependant ses tantes qui sont au bout du fil, cherchant ce dernier qui a disparu. Pablo n'aurait jamais dû répondre...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L'introduction installe la notion de sorcellerie. Le premier chapitre contemporain constitue de son côté une entrée en matière intéressante, dressant un portrait peu commun de la masculinité. Le sixième chapitre consacré à Graciela Cristina, treize ans, va être traité sous forme d'un journal intime dessiné, archivé dans ce qui semble être un dossier d'enquête policière. Il va révéler l’étrange réalité qui se trame au plus profond de ce manoir familial. Les deux derniers chapitres vont nous repropulser dans l'actualité, avec une sorte de révélation. « Walicho : en langue mapuche, être ou chose personnifiant tous les maux et les malheurs ». Sole Otero est déjà connue du lectorat français. Cette argentine diplômée en design textile à Buenos Aires a obtenu le Prix du public - France télévisions au festival d'Angoulême 2023 pour Naphtaline. Elle est déjà l'autrice de six ouvrages. Son style, féministe dans le choix de ses thématiques et de ses personnages, assume un dessin lâché mais très élaboré dans ses structures, tout comme il détonne avec ses coloriages variés (encre, effet crayon...). Le trait est souple et assez instinctif – sans repentir dirait-on – et les corps des personnages sont démesurés par rapport à leur tête. La majorité (moins un) de ces chapitres développe des mises en page élaborées, jouant sur l'élasticité du temps et du cadre de la page, tout comme une belle inventivité dans l'agencement et le design des récitatifs. On peut être réticent à ce genre de dessin, et le principe de reproduction des échanges de mails dans le chapitre cinq, un peu excluant, mais cela serait malhonnête de ne pas reconnaître la grande originalité et la maîtrise narrative proposées par l'autrice. Si une concentration certaine est nécessaire pour pouvoir passer d'un chapitre à l'autre, l'atmosphère fantastique, qui nimbe un récit à la fois étrange tout en abordant des thématiques très contemporaines et pertinentes, réussit son pari en ce qu'il exerce une fascination, à la limite de la... sorcellerie. Une œuvre forte faisant avancer le médium.