L'histoire :
Marie Boivin est une canadienne de Montréal. Elle est veuve et a deux filles adultes. Très superstitieuse et maniaque, elle pense que les nombres pairs portent bonheur au contraire des chiffres impairs. Sa vie s'articule autour de ces questions d'augure. Un jour, sa petite-fille voudrait pour son anniversaire une chaîne en or avec la Vierge Marie dessus. Marie retrouve une petite médaille de baptême qu'elle portait alors petite et lui offre. Cette médaille, elle l'avait donnée à son mari en 1915, Yves, lorsqu'il partit au front de la Première Guerre mondiale... Yves, justement, garda cette médaille sur lui au cœur des tranchées et des combats. Manière pour lui d'être protégé et de garder en lui le souvenir de sa femme restée sur le continent. Face à l'horreur, à la barbarie, le pendentif restait sa seule part d'humanité encore intacte... avant que ledit objet ne prenne la route de l'Allemagne et de l'Afrique...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Pour commencer, il faut souligner l'intelligence du dispositif déroulé sous nos yeux. L'auteure allemande Birgit Weyhe raconte dix histoires, celles de dix personnages et de dix époques à travers le cheminement d'un petit médaillon sacré, passant de mains en mains, de cou en cou. Égaré, retrouvé, offert, perdu, il acquiert au fil des années une dimension symbolique, affective ou spirituelle en fonction des époques, des personnes et des liens qui les relient. Mais il peut être aussi un simple étalon, comme l'argent, qui mesure la valeur des choses. Grâce à ce procédé inspiré de la pièce de théâtre d'Arthur Schniztler, le lecteur voyage entre l'Amérique du Nord, l'Europe et l'Afrique, allant d'une guerre mondiale à une autre, en passant par une chronique sociale africaine, les territoires faisant écho aux époques. Sorte de méditation sur le destin et les choix qui conditionnent notre liberté, oscillant en permanence entre le déterminisme historique et l'appel d'une liberté individuelle, les récits donnent à voir un lacis de fils de vie reliés plus ou moins directement, sur une toile de fond historique heurtée. Mais au final, c'est bien la dense humanité des personnages qui ressort, à travers l'exploration de leurs failles, états d'âme et trajectoires familiales tortueuses, souvent conditionnées par l'histoire. Dans ce contexte, le graphisme répète moins le texte qu'il ne l'exprime par un trait changeant, souple et expressionniste, faisant la part-belle aux émotions. Ronde, qui est aussi une réflexion sur la liberté au rythme d'une danse équilibrée, laisse une impression diffuse de bien être, celle qui fait écho au destin auquel on se serait identifier, sorte de résonance intérieure commune. Car ce ne sont pas moins de dix existences, tout à la fois universelles et singulières, balbutiantes ou étonnantes, qu'il nous est donné d'embrasser via un objet-témoin, relais entre les générations et les peuples, chargé de transmettre une part d'universalité. Véritable pont sensible, cet objet exprime le plus intime, ce qui paraît ineffable. In fine, c’est là la grande réussite de Birgit Weyhe d'avoir su créer et cristalliser, grâce à cette médaille sacrée, un lien intime entre le lecteur et ses personnages.
