L'histoire :
10 ans après les attentats du 11 septembre 2001, 19 signatures (romanciers, dessinateurs, artistes...), depuis les deux rives de l'Atlantique, entrecroisent leurs regards sur l'environnement politique international hérité de cet évènement majeur. Sous la forme d'une lettre à son petit-fils, le romancier américain Russel Banks offre un joli préambule emprunt de sagesse. La comique Sophia Aram lui emboîte le pas, jouant plutôt de son cynisme finaud. Miles Hyman dessine une séquence BD d'anticipation quelque peu pessimiste... Jérome Charyn, son scénariste, pousse le bouchon à travers une courte nouvelle allégorique tout aussi anxiogène. Jean-Luc Hees (actuel président de Radio France) et Roger Cohen (éditorialiste du New-York Times et de l'Herald Tribune) nourrissent une vraie-fausse correspondance pour synthétiser un portrait mutuel, pétrie de respect et d'autocritique, que nourrissent France et USA l'un envers l'autre. Le dessinateur Jul illustre la chose. Puis le caricaturiste Plantu (qui fait la Une du Monde depuis plus de 20 ans) se livre à une « joute » de dessins de presse avec son homologue Daryl Cagle sur msnbc.com. Joe Sacco joue les HG Wells et choisit la science-fiction pour extrapoler un futur peu reluisant à partir des mesures américaines les plus extrêmes. Les argentins Jose Munoz et Carlos Sampayo campent d'hermétiques palabres dans les cuisines de la Maison Blanche. Enluminé par Lorenzo Mattotti, Art Spiegelman (le seul auteur de BD à avoir reçu le Pulitzer, pour Maus) offre son point de vue cosmopolite depuis sa « bulle » new-yorkaise. Le chanteur et photographe Charlélie (Couture) propose quelques toiles d'art contemporain pour illustrer ses commentaires sur sa vision de New-York. L'architecte Jacques Ferrier analyse quant à lui New-York sous l'angle de l'urbaniste, en comparaison avec Shanghai et d'autres grandes villes du monde (quelques images de synthèse de ses derniers projets étayent sa vision de la ville). Enfin, Barbara Hendricks (cantatrice et ambassadrice aux Nations Unis pour les Réfugiés) et Fabienne Santes (correspondante de Radio France à Washington) concluent l'ouvrage par leur vision de l'Amérique, de ses difficultés, de son destin. Sans oublier Enki Bilal, qui fournit en premier lieu une couverture à la symbolique forte...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Les analystes de tous poils n'arrêtent pas de disserter sur ce fait : les attentats du 11 septembre 2001 auront marqué un virage géostratégique dans l'histoire de notre civilisation humaine. Pas tant par la tragédie humaine – bien que terrible – qu'engendra l'effondrement des Twin Towers, que par les décisions politiques qui en ont découlé et les douloureux apprentissages qui en ressortent. Pour la première fois, une attaque « guerrière » de grande ampleur frappait en effet les USA sur leurs noeuds névralgiques ; la riposte allait démontrer un aveu d'impuissance et établir des failles durables dans leur hégémonie. 10 ans plus tard, cet ouvrage collectif et exceptionnel, à l'initiative de Radio France et des éditions Casterman, tente de tirer un bilan de l'évènement et surtout une analyse prospective sur notre cité-monde. Dans cet épais volume de plus de 200 pages, sur une idée louable de Pascal Delannoy, et avec la complicité de Jean-Christophe Ogier de Radio France, la parole écrite et graphique a été accordée à différents artistes et éditorialistes, comme autant de lorgnettes éclairées et compétentes. Jugez en par l'éclectisme du casting, proposé en résumé de cette chronique. Pour les lecteurs qui s'intéressent à la bonne marche de notre civilisation humaine, c'est tout bonnement passionnant. Du même niveau que le serait, par exemple, un méga-dossier spécial de Courrier International sur le sujet. L'on y décortique aussi bien les conséquences politiques précises des attentats sur 10 ans, que les mutations psycho-sociale qui façonnent aujourd'hui de la ville de New-York, que le nouvel équilibre mondial qui se met en place en parallèle de ces soubresauts (la crise financière, le boom de la Chine, le printemps arabe, la léthargie européenne...). Certes, les purs fans de BD seront déçus : la substantifique moelle se trouve essentiellement dans les articles et témoignages écrits, et non au travers des 3 courtes séquences BD. Chacun, selon son ressenti, son éducation ou sa nature, retiendra la tonalité pessimiste – la chute de l'empire américain prophétisé à moyen-terme – ou au contraire, une mentalité, une philosophie de vie directement issue du siècle des lumières européen, et forgée pour affronter toutes les épreuves. Un joli travail de synthèse, essentiel pour qui s'intéresse à notre folle civilisation humaine.
